Venezuela : La menace gronde autour des communautés autochtones

Les hommes se lèvent tôt le matin pour chasser le tapir. Les rayons du soleil caressent les feuilles suspendues aux arbres.

La menace est là, sur les branches, elle prend la forme d’une fourmi appelée veinticuatro, parce que la douleur que suscite sa morsure perdure vingt-quatre heures. La peau d’une vipère qui a effectué sa mue se décompose sur le sol.

Les cris des singes hurleurs couvrent le ronronnement des phlébotomes, ces miniscules insectes qui véhiculent une terrible maladie. D’une main la machette et de l’autre un fusil de chasse de calibre 16, Romero indique au groupe de chasseurs la dépouille d’une anguille électrique d’1,80 m de long pêchée dans un ruisseau.

Romero, âgé de 18 ans, fait parti de la tribu des Ye’kuanas. Les chasseurs ôtent une partie de la tête de l’anguille et la mangent à toute hâte pour vérifier que la chasse s’avère fructueuse. Peu de temps après, ils tombent sur un hocco, une sorte d’ oiseau qui présente des similitudes avec la dinde sauvage, et la tuent aussitôt.

Ignoré du reste du monde, le bassin de la rivière Caura, qui occupe un territoire plus grand que la Belgique, n’a pas encore été touché par les chantiers de construction de barrages hydroélectriques.
Quelques milliers d’indigènes répartis sur deux ethnies, les Ye’kuanas (selon le Recensement de population réalisé en 2001, la tribu comprendrait environ  6.523 individus au total) et les Sanemas (population estimée à 12.324 membres selon le gouvernement vénézuelien) évoluent en son sein. Sa forêt humide et ses savanes sont irriguées par les cours d’eau qui s’écoulent depuis les tépuis, d’immenses massifs tabulaires de grès.

Les Ye’kuanas et les Sanemas restent profondément liés à leur mode de vie séculaire et continuent de chasser le pécari, le singe-araignée et le tapir. Ils cultivent le manioc et se servent d’un poison extrait du Lonchocarpus urucu pour la chasse et enfin d’une sorte de liane en guise de fil de pêche.

Mais leurs traditions sont chaque jour un peu plus menacées et les anthropologues se demandent encore comment ils sont parvenus à préserver leur patrimoine culturel jusqu’à aujourd’hui.

Parmi les menaces auxquels ils sont exposées apparaissent le commerce illégal et rentable  de la viande de brousse, les incursions des chercheurs d’or sur leur territoire et enfin le refus farouche émis par les autorités d’autoriser les natifs à exercer un contrôle administratif accru sur ces terres.

Les deux tribus ont su résisté à un nombre incalculable d’obstacles. Tout d’abord, au XVIIe siècle, des marchands d’esclaves caribéens instauraient des battus dans la région pour capturer des esclaves et les vendre aux Néerlandais.

Plus récemment, dans les années 1930, les Ye’kuanas et les Sanemas se sont  férocement combattu, probablement en raison des rafles qu’organisaient les seconds pour s’accaparer des métaux et pour enlever des femmes appartenant aux premiers. Ce comportement guerrier explique que dans certains villages ye’kuanas, des représentants de la tribu des Sanemas soient au service des Ye’kuanas.
Curieusement, les forêts où résident les deux tribus n’ont pas subi la déforestation.

Les historiens attribuent ce « miracle » à l’éloignement de la région de la Caura et à la dépendance croissante du pays envers une autre ressource naturelle, c’est-à-dire le pétrole.

Des projets de barrages et de centres de recherche scientifique ont été envisagées, puis jetés aux oubliettes.

On aperçoit de moins en moins souvent de missionnaires ou d’anthropologues étrangers, jadis nombreux à sillonner la zone. Ces dix dernières années, le président Hugo Chávez s’est « débarassé » des prosélytes américains en les poussant hors des frontières pour espionnage.

Les efforts de préservation de la région ont donc été quasi inexistants. C’est seulement aujourd’hui que le monde extérieur semble se soucier de ses forêts et de ses cours d’eau. Ainsi Maripa, un village de près de 4000 habitants localisé à six heures de pirogue d’Edowinña, propose-t-il un aperçu fugace de ce que pourrait réserver l’avenir à ces deux communautés : l’assimilation et l’acculturation.

A Maripa, la « civilisation moderne » se manifeste par l’émergence d’un bidonville où cohabitent les Ye’kuanas qui ont quitté Chajuraña, un village situé au fin fond de la dense forêt. “Nous voulons de l’argent pour acheter des choses”, explique Silverio Flores, 49 ans, qui réside à Maripa depuis trois ans.

“Peut-être pourrons-nous obtenir une allocation mensuelle quelconque.”

Dans un relais routier du village, un commerçant qui vend illégalement de la viande sauvage fait l’inventaire de ses produits : tapir, agouti (un rongeur recherché), hocco et pécari. Les prix oscillent autour de quatre dollars le kilo pour des animaux massacrés par des braconniers. Malgré tout, les Ye’kuanas et les Sanemas continuent de cultiver, pêcher et chasser. Mais la dernière fois où Romero González est parti à la chasse, il n’a aperçu aucun tapir. Le lendemain, des compagnons sont passés en pirogue près d’une clairière où des braconniers avaient laissé les restes d’un tapir fraîchement tué.

Alors que les rapides dessinent des olas autour de sa pirogue, Mocuy, un jeune Ye’kuana âgé de 23 ans, semble résigné et déclare : “Appelez ça notre quotidien… Appelez ça la fin de notre quotidien, si ça ne s’arrête pas bientôt.”

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