Ces dernières semaines, huit enfants sont morts en Argentine des suites d’une dénutrition chronique, ce fléau touche le nord du pays, en particulier la population infantile, et semble être pour les autorités un problème insoluble. Pourquoi les enfants meurent-ils de faim dans un pays qui se classe parmi les plus importants producteurs d’aliments au monde et qui peut nourrir 200 millions de personnes alors que sa population ne dépasse pas les 40 millions ? Les racines de ce mal sont à la fois sanitaires, sociales et politiques.
Selon la Conin (Cooperadora para la Nutrición Infantil), 260 000 enfants de moins de cinq ans souffrent de dénutrition à un niveau élevé en Argentine. 2 100 000 personnes n’ont pas la garantie de s’alimenter quotidiennement sur le territoire argentin. Parmi les populations les plus vulnérables, on retrouve les communautés indigènes, qui évoluent essentiellement dans le nord-ouest du pays, dans la célèbre zone du Gran Chaco ou du Chaco Salteño, des territoires qui regroupent les provinces de Salta, Formosa, Chaco, Santiago del Estero et Santa Fe.
Les huit enfants qui ont récemment succombé à une alimentation insuffisante appartenaient aux communautés indigènes de Salta. Ces décès ont suscité des critiques à l’encontre du gouvernement provincial de Juan Manuel Urtubey, au beau milieu d’un climat pré-électoral puisque les élections gouvernementales doivent avoir lieu en avril.
Urtubey, un allié du gouvernement national a reconnu que « la dénutrition infantile constituait un drame latent » mais a signalé que le principal problème n’est pas le manque d’assistante de l’Etat mais une « question culturelle » au sein des communautés indigènes, « ce qui complique les mesures d’aide aux familles ». Ces propos ont choqué les opposants du politique qui l’ont accusé de tenir des propos racistes et de se désolidariser du problème indigène. A cette période de l’année, la province de Salta doit faire face à des températures élevées, et de nombreux enfants meurent de déshydratation car ils n’ont pas accès à l’eau potable et contractent des maladies comme de fortes diarrhées.
Le directeur de Médecine Social du Ministère de Santé Publique de la province de Salta, Enrique Heredia, a déclaré à la BBC Mundo que le problème de la dénutrition infantile faisait l’objet d’une politisation infondée et a assuré que les propos de Urtubey avaient été « déformés ».
Heredia a ajouté que les problèmes de dénutrition dans la province de Salta ne s’expliquaient pas uniquement par un manque de nourriture, ou par une aide alimentaire insuffisante de la part de l’Etat, mais par divers problèmes de santé eux-mêmes provoqués par de multiples facteurs sanitaires.
« A cette époque de l’année, la chaleur frappe la province et on assiste à une augmentation des cas d’enfants qui meurent de désydradation faute d’accès à l’eau potable, beaucoup souffrent de diarrhées »a-t-il souligné. A ce titre, Heredia a expliqué que la principale cause de dénutrition infantile n’était pas tant la faim mais les mauvaises conditions sanitaires et nutritionnelles dont souffrent les plus jeunes. Selon l’expert, le problème est aggravé par une série de « barrières » qui ne facilitent pas l’assistance aux communautés indigènes.
Parmi ces obstacles, il relève la barrière de la langue et le fait que de nombreux autochtones, la majorité appartenant à la communauté Wichí qui peuple la zone de Salta, ne parlent pas espagnol. Il remet également en question certaines traditions ancestrales ayant trait par exemple à l’allaitement.
Ana Álvarez, de la Fundación Asociana, une ONG anglicane qui porte assistance aux communautés indigènes du Chaco Salteño depuis plus de cent ans, signale que le problème indigène s’explique avant tout par la déforestation qui prive les natifs de leurs moyens de subsistance.
« Les Wichí sont traditionnellement des chasseurs-cueilleurs. La déforestation les contraint à abandonner leurs villages pour se rapprocher de noyaux urbains où ils n’ont pas accès à l’eau potable et où ils perdent progressivement le lien social qui unit chaque membre de la communauté » a-t-elle expilqué à BBC Mundo.
Selon, l’ONG, entre 1998 et 2006, 600 000 hectares de forêts ont été détruits à Salta, pour laisser place à l’élevage et surtout à l’agriculure avec la culture phare du moment « le soja ». Ces actions ôtent les capacités de subsistance à plus de 25 000 indigènes qui évoluent dans la zone Chaco Salteño.
Ces destructions induisent également un changement alimentaire pour les peuples autochtones, qui, avant la déforestation se nourrissaient de fruits et de viande, obtenue grâce à la chasse, et qui maintenant se contentent d’aliments à base de farine et de sucre dont les qualités nutritionnelles sont bien inférieures. « Ils n’ont aucune connaissance en diététique » ajoute Ana Álvarez.
Le docteur Heredia reconnaît que le manque « d’éducation nutritionnelle » nuit aux communautés indigènes et ajoute qu’il ne faut pas seulement apporter de la nourriture aux communautés mais aussi les informer et leur livrer des conseils en matière d’alimentation.
Les défenseurs des peuples natifs espèrent que l’approbation en 2007 de la « Ley de Bosques » (« Loi sur les forêts »), qui limite la déforestation permettra de mettre un frein à cette situation préjudiciable aux communautés indigènes.
En Amérique Latine et aux Caraïbes, la dénutrition affecte 53 millions de personnes, dont neuf millions sont des mineurs de moins de cinq ans, selon des chiffres révélés par l’Organisation des Nations Unies. L’Argentine ne fait pas parti des pays avec le taux le plus important de dénutrition à la différence de Haití, du Honduras, du Guatemala et de la Bolivie.
« En 2010, nous avons été confrontés à une situation similaire à celle de 2009, lorsqu’il y a eu 15 000 cas de dénutrition dans le Chaco. Et en 2011, nous considérons que la dénutrition devrait stagner, la pauvreté avait grandi avec l’inflation, c’est-à-dire l’augmentation des prix sur des produits de base » a estimé Rolando Núñez, du Centre Mandela chaqueño. L’année passée, l’inflation a atteint 10,9 % selon des chiffres officiels, tandis que certains organismes privés estimaient ce taux à 25 %.
En décembre 2009, les autorités d’Argentine sous l’impulsion du gouvernement de la présidente, Cristina de Kirchner, ont mis en place la « Asignación Universal por Hijo » (AUH) d’un montant mensuel de 220 pesos (55 dollars) pour chaque mineur de moins de 18 ans pour les familles dans le besoin (chômeurs, travailleurs précaires….). Cette allocation est versée à 3,5 millions d’enfants et adolescents, en contrepartie les mineurs bénéficiaires doivent être inscrits à l’école, recevoir les vaccins obligatoires.
Cependant, 2,8 millions de mineurs ne reçoivent pas cette aide en raison de défaillances. Juan Carr, coordinateur de « Red Solidaria » (Réseau solidaire »), a souligné que l’Argentine pouvait totalement éradiqué les problèmes de dénutrition d’ici un à trois ans « Avec à peine quatre jours de récolte de grains, sans parler des protéines animales dérivées de la viande et des produits laitiers que nous produisons également, nous pouvons résoudre le problème de la faim en Argentine. Et avec 122 jours le problème de la faim dans toute l’Amérque Latine ».