Guatemala : Les Mayas entre valorisation et abandon…

Le Guatemala a annoncé que le pays espérait jouir d’ici quatre ans d’un musée dédié à la civilisation maya (Museo Maya de América), une construction qui souhaite rivaliser avec les plus grands musées du monde et qui, selon les autorités, devrait permettre d’attirer annuellement 300 000 touristes supplémentaires.

Jeune fille maya s’adonnant au tissage

Ce musée devrait voir le jour sous la présidence de l’actuelle chef de l’État, Otto Pérez (2012-2016), et son coût est estimé entre 70 et 100 millions de dollars, à l’heure actuelle le lieu de son emplacement n’a pas été confirmé, comme l’a souligné le directeur de l’Institut guatémaltèque au tourisme (Inguat), Pedro Duchez, lors d’une conférence de presse. Duchez a expliqué qu’il s’agirait du Museo Mundo Maya de América, dont l’objectif est de placer le Guatemala comme « le coeur du monde maya » et comme destination touristique d’envergure mondiale. Ce projet culturel devrait attirer près de 300 000 visiteurs en plus par an, passionnés par l’histoire maya, un gain qui est d’ores est déjà estimé à plus de 225 millions de dollars additionnels. Selon des chiffres officiels, en 2011 le Guatemala a reçu 1,8 million de touristes qui a permis au pays de récolter près de 1 350 millions de dollars, cette année c’est une augmentation de 8 % qui est attendue dans le secteur soit une augmentation de devises estimée à 6,5 %.

Gran Museo del Mundo Maya

La création de ce musée sera financée par des fonds privés et s’inscrit dans le cadre des célébrations prévues en cette fin d’année à l’occasion du changement d’ère maya, le 13e Oxlajuj Baq’tum, se tiendra en effet le 21 décembre 2012. Le fonctionnaire a déclaré que le fait de compter sur un musée de cette importance aurait une incidence positive sur le secteur touristique et il a cité en exemple le musée Guggenheim qui a engendré une augmentation de 40 % du nombre de visiteurs à Bilbao. Il a rappelé que le voisin mexicain mettait en valeur son patrimoine dans l’État du Yucatán avec la création du Musée du monde maya à Mérida (Gran Museo del Mundo Maya) et a regretté que le Guatemala « le véritable coeur du monde maya », ne possédait aucune structure similaire mettant en valeur les richesses de cette civilisation et son héritage.

L’inauguration du musée mexicain doit avoir lieu dans un peu moins d’un mois, le musée dont le coût total est estimé à 770 millions de pesos s’étend sur une superficie totale de 17 000 mètres carrés, il compte cinq salles, une dédiée aux expositions temporaires et les quatre autres consacrées aux expositions permanentes : elles se focaliseront sur 4 thématiques à savoir l’archéologie, l’ethnologie, l’histoire et la « cosmovision » maya (manière d’interpréter le monde).

site archéologique de Tikal

Si le passé précolombien maya fascine et fait l’objet de toutes les attentions avec la création de musées consacrés à ces cultures préhispaniques toujours sources de fascination, il n’en est pas de même pour la population d’origine maya qui, de nos jours, se sent exclue et marginalisée. La princesse indigène maya Nora Dieguez (« Princesa Indígena Nacional de Guatemala 2012 ») a récemment déclaré lors d’une conférence de presse que les indigènes guatémaltèques, descendants des anciens Mayas, n’avaient pas accès aux services basiques liés à la santé ou encore à l’éducation. Une déclaration qui a été effectuée dans le cadre de la célébration de la journée internationale des peuples indigènes. La population maya qui selon les autorités guatémaltèques représente 42 % de la population (estimé à 14 millions de personnes) est le secteur le plus démuni de la société. « La pauvreté est diffuse et sérieuse dans les zones indigènes, encore plus lorsqu’il n’y a aucun accès aux services publics basiques comme la santé, l’éducation, l’eau potable, des manquements qui rendent les populations vulnérables », a déclaré Dieguez. Elle a ajouté dans un communiqué adressé aux journalistes « je demande aux chefs d’entreprise et aux politiques qui ont bénéficié des ressources du pays à ce qu’ils changent d’attitude et développent des politiques d’éducation et de santé » précisant « les peuples mayas ne doivent plus être les victimes d’un État excluant qui se doit de respecter l’égalité de droits établie dans la Constitution ».

La « princesse indigène » est élue chaque année lors d’un concours qui met en compétition 22 représentantes de la culture maya millénaire, elle conserve son titre durant un an. Dieguez a souligné que la population maya se préparait à accueillir le 21 décembre une nouvelle ère de son calendrier et qu’ainsi la population espérait de nouvelles opportunités et la fin de ce qui est négatif. La pauvreté affecte 53 % des Guatémaltèques et 75 % de la population maya. Selon un rapport émis en 2012 par le programme des Nations unies pour le développement, les départements à majorité indigène « maintiennent historiquement les pires conditions en matière de santé, d’éducation et de revenus ». Un enfant guatémaltèque sur deux âgé de moins de cinq ans souffre de dénutrition chronique, le taux le plus fort d’Amérique latine et le cinquième au monde, il y a des petites communautés indigènes ou l’indicateur atteint des niveaux alarmants, entre 77 % et 91 % de la population infantile.

mosaique maya

Alors que les autorités revendiquent fièrement leur patrimoine indigène comme  atout au moment de séduire les touristes du monde entier avec une mise en valeur du patrimoine culturel natif (source d’affirmation identitaire), les descendants mayas aimeraient aujourd’hui que le gouvernement s’intéresse davantage à leur sort en favorisant leur inclusion sociale. Cruel paradoxe entre passé et présent …

Comme l’a souligné l’américaniste Fabienne de Pierrebourg, « 55 % de la population guatémaltèque est aujourd’hui d’ascendance maya. Il reste les langues mayas, les vêtements, la pensée, l’écriture. Il y a des écrivains mayas qui transmettent, tout en écrivant la poésie, des textes actuels qui transmettent des idées et une pensée maya avec une langue maya. »  Les langues mayas sont une famille de langues amérindiennes parlées par 5 millions de personnes, essentiellement dans la zone maya, qui s’étend du sud du Mexique jusqu’au Honduras. La plupart des locuteurs descendent de la civilisation maya, la plus parlée de ces langues est le quiché avec plus de 2 300 000 locuteurs au Guatemala. Elle est suivie du maya yucatèque (750 000 locuteurs), s’étendant sur péninsule du Yucatán au Mexique, puis du mam, du cakchiquel et du q’eqchi avec chacun environ un demi-million de locuteurs guatémaltèques. Les autres langues notables sont le tzotzil et tzeltal parlés chacun par plus de 300 000 personnes dans le Chiapas au Mexique.

Les communautés mayas du Guatemala et du Mexique incarnent aujourd’hui la mémoire vivante de plusieurs siècles de traditions et de croyances empreintes désormais de syncrétisme… Le poids de l’Histoire  étant passé par là, une histoire de la civilisation maya que les autorités revendiquent et valorisent au sein de splendides musées à l’intérêt indéniable, cependant, pour les descendants actuels, le quotidien est souvent synonyme de marginalisation et d’extrême pauvreté.

(Aline Timbert)



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