Un conseil indigène, qui applique la justice communautaire dans la ville d’El Alto, en Bolivie, a approuvé mi-novembre la castration chimique des violeurs et l’amputation d’une main comme ‘punition’ à infliger aux voleurs récidivistes. Le dirigeant de l’organisation « Marka Julián Apaza », Carmelo Titirico, a informé le premier conseil indigène qui s’est réuni dans le district 13 d’El Alto, ville voisine à la capitale, La Paz, qu’il approuvait ces nouvelles sanctions décidées dans le cadre de l’application de la dite justice communautaire, un droit dont jouissent les natifs et qui est reconnu dans la nouvelle Constitution de l’État plurinational de Bolivie depuis 2009.

La Bolivie autorise, par ce procédé singulier, les communautés indigènes à rendre justice et donner des sanctions dans le cadre de la résolution de conflits, ce en accord avec leur propre système de valeurs et leurs coutumes ancestrales. La justice communautaire existe donc parallèlement au système judiciaire classique qui opère à travers le pays au moyen de tribunaux, cependant, malgré cette autonomie, les natifs se doivent de respecter les fondements mêmes de la Constitution en vigueur (les châtiments corporels sont ainsi prohibés). Des limites pas toujours faciles à cerner.
Ermo Quisbert définit la justice communautaire ainsi (Justicia comunitaria, La Paz, Bolivia: CED®, Centro De Estudios De DerechoT, 6ª): « La justice communautaire est une institution de Droit Coutumier qui prévoit de sanctionner le comportement récusable d’individus sans l’intervention du gouvernement, de juges et de la bureaucratie, mais directement au sein de la communauté d’individus où les autorités naturelles jouent les arbitres entre les deux parties opposées ».

La majorité de la population d’El Alto est d’origine autochtone, la plupart des habitants sont aymaras, tout comme le président de la République Evo Morales, et maintiennent leur langue ainsi que leurs coutumes vivaces, leur zone d’influence s’étend jusqu’au sud du Pérou. Le terme « Aymara » désigne à la fois un peuple appelé également peuple Qolla ou Colla, originaire de la région du lac Titicaca au croisement de la Bolivie, du Pérou et du Chili, ainsi qu’une langue véhiculaire qui a remplacé de nombreuses autres comme l’uru ou l’uchhumataqu de Bolivie.
L’ensemble des Ayllus d’El Alto fait partie de l’organisation « Marka Julián Apaza »,qui souhaite justement appliquer la castration chimique pour les violeurs et l’amputation d’une main pour les voleurs récidivistes.
« Sont soumis à cette juridiction (justice communautaire), les représentants de la nation du peuple indigène d’origine paysanne, qu’ils soient acteurs ou demandeurs, plaignants ou accusés, défenseurs ou prévenus », précise l’article 191 de la Constitution bolivienne. Les autorités judiciaires de Bolivie ne se sont pas encore prononcées sur la décision des communautés aymaras, mais les tensions sont déjà vives sur ce sujet ô combien délicat.
En effet, la polémique est d’ores et déjà lancée, puisque selon des médias locaux, des juristes et le propre gouvernement assurent que de telles dispositions sont illégales et contredisent la Carta Magna, la Ley de Deslinde Jurisdiccional (loi qui définit et limite les champs d’action de la justice communautaire) et les accords internationaux sur les droits de l’homme. Le magistrat suppléant du tribunal constitutionnel, Milton Mendoza, a souligné que ces sanctions deviendraient, en réalité, de nouveaux délits punissables par les autorités.
Carmelo Titirico a précisé que les communautés indigènes qui vivent à El Alto ont approuvé ces sanctions comme réponse à ceux qui attaquent leurs membres « nous avons proposé la castration chimique pour les violeurs. Vous pouvez répondre que c’est inconstitutionnel, mais nous respectons la vie humaine, comme le stipule la Constitution, car nous n’allons tuer personne, nous allons utiliser la castration chimique, quant aux voleurs qui ont récidivé trois à quatre fois nous leur amputerons une main, afin que cela serve d’exemple et que cela ne se reproduise plus », a indiqué le leader indigène. De son côté, le gouvernement bolivien a assuré que ces mesures étaient inapplicables, car elles sont en totale contradiction avec les normes de la Carta Magna, ou encore avec le cadre fixé par le chapitre IV de la Constitución Política del Estado (Constitution Politique de l’État ou CPE) et les limites fixées par la « Ley de Deslinde » précisant qu’aucune sanction n’est prévue par la justice communautaire pour des délits de viol ou encore d’assassinat. Milton Mendoza a précisé que si de tels actes devaient être pratiqués, ils seraient automatiquement punis par les autorités judiciaires nationales.

Ce n’est pas la première fois que le principe de justice communautaire est source de polémique dans le pays sud-américain, en 2008 une série de lynchages publics et de passages à tabac contre des voleurs présumés avait relancé le débat avant que ne soit finalement entériné l’application de la justice indigène dans un profond climat de division politique.
Le vice-ministre bolivien de la Justice de l’époque, Wilfredo Chavez, avait lui-même admis que 60% des villages éloignés des centres urbains souffraient d’un « abandon de l’État », tout en plaidant pour le concept de justice communautaire, en proie selon lui à certaines dérives.
Selon toute vraisemblance, les problèmes sont toujours d’actualité dans ce pays où les habitants sont majoritairement d’origine indigène avec 69 % de la population totale ( parmi les natifs, 30 % sont des Quechuas et 25 % des Aymaras. Les autres groupes indigènes sont des Chiquitano, des Guaranis, des Arawaks, des Ignaciano, des Chimané, des Movima, des Trinitario, des Itonama, des Tanaca).
(Aline Timbert)
NB :
LEY DE DESLINDE JURISDICCIONAL/Loi sur le champ d’application juridictionnel
Loi 073 (29-Décembre 2010)
CHAPITRE III
ÁMBITOS DE VIGENCIA DE LA JURISDICCIÓN INDÍGENA ORIGINARIA CAMPESINA/DOMAINES D’APPLICATION DE LA JURIDICTION INDIGÈNE PAYSANNE
Artículo 7. (JURISDICCIÓN INDÍGENA ORIGINARIA CAMPESINA).
Artículo 10. (ÁMBITO DE VIGENCIA MATERIAL).
II. Le domaine d’action de la juridiction indigène paysanne ne peut pas être appliqué dans les situations suivantes:
a) Dans le domaine pénal, les délits contre le Droit international, les délits de crime de lèse-humanité, les délits contre la sécurité interne et externe de l’État les délits de terrorisme, les délits tributaires et douaniers, les délits de corruption ou tout autre dont la victime est l’État, la traite et le trafic d’êtres humains, le trafic d’armes et les délits de trafics de drogue. Les délits commis contre l’intégrité physique des enfants et adolescents, les délits de viol, d’assassinat ou d’homicide.