En Bolivie, le célèbre lac d’altitude Titicaca, situé dans la cordillère des Andes, va faire l’objet de fouilles archéologiques subaquatiques dans les prochaines semaines, des recherches menées par le chercheur belge Christophe Delaere, codirecteur du projet nommé « Huiñaimarca » qui a été mis sur pied par le ministère de la Culture de Bolivie et l’Université Libre de Bruxelles. L’objectif est de rechercher différents emplacements côtiers précolombiens, en particulier les vestiges de la culture pré-inca Tiwanaku ou Tiahuanaco,(qui a évolué entre le Ve siècle et le XIe siècle) qui se trouve actuellement sous les eaux.
Le projet est prévu sur trois ans, il réunit des experts des deux institutions et a débuté en avril 2012 avec des prospections géophysiques. Depuis 2007, des recherches ont eu lieu à l’Université Libre de Bruxelles concernant l’un des sites cérémoniels les plus importants d’Amérique du Sud, à savoir le Tiwanaku, les monuments de Tiwanaku sont des exemples exceptionnels de l’architecture et de l’art cérémoniel et public d’une des manifestations les plus marquantes des civilisations de la région andine. Or, il est désormais évident que les périodes d’apparitions, d’évolutions, de modifications et de détériorations des zones résidentielles et cérémonielles de ce lieu concordent avec les modifications climatiques et les oscillations du niveau du lac Titicaca qui se trouve à environ 12 km du précieux site archéologique inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis l’année 2000.
Il a est à ce titre essentiel pour les scientifiques de creuser le sujet en se penchant sur les données limnologiques et sédimentologiques de ce lac situé à 3820 m au-dessus du niveau de la mer.
Il s’agit d’une immense étendue d’eau d’un bleu intense, les températures sont inférieures à 15°c toute l’année. Sa surface est de 6900 kilomètres carrés, soit 15 fois celle du lac Léman, sa profondeur peut atteindre près de 500 m dans le détroit de Tiquina, mais on l’estime à 280 m en moyenne, sa plus grande longueur est de 171 km pour une largeur maximum de 64 km. Le lac est alimenté par une dizaine de rivières, mais n’a qu’un seul déversoir, le fleuve Desaguadero qui se jette dans le lac Poopo, lequel ne s’écoule pas vers la mer puisque toute la masse d’eau part en évaporation. On distingue le petit lac connu sous le nom de Ingavi séparé du grand lac appelé Chucuito.
Au mois de février, les premières plongées ont permis de localiser et d’identifier six sites archéologiques immergés dans le lac mineur du Titicaca (le Titicaca s’étend sur environ 8 562 km², parmi lesquels 4 772 km² correspondent au territoire péruvien et le reste à la Bolivie).
« Nous avons trouvé des murs domestiques sous l’eau. Nous allons fouiller près du mur pour connaître la composition et comprendre l’usage qui était donné à la structure », a souligné Christophe Delaere qui a précisé « qu’il y a quasiment 600 kilomètres carrés de territoire de la culture Tihuanaco dans l’eau ». Ces découvertes de structures qui servaient à la fois d’habitations, de centres cérémoniels, mais aussi de terrasses agricoles accréditent les modèles de fluctuations historiques du lac Titicaca effectués par l’université belge.
Ce projet d’exploration bénéficie bien évidemment de l’aval des autorités boliviennes, aussi bien au niveau local que national, par ailleurs les communautés natives ont également été consultées « c’est la première tentative binationale visant à réaliser des recherches avec des techniques et une méthodologie en accord avec les besoins scientifiques du XXIe siècle », a affirmé de son côté le chercheur bolivien Marcial Medina Huanca, codirecteur du projet. Les opérations subaquatiques se tiendront du 1er juin au 31 juillet 2013 en accord avec l’autorisation de fouilles archéologiques 006/2013 dispensée par l’Unidad de Arqueologia y Museos (UDAM) du Ministère de la Culture de Bolivie.
Delaere et Medina tiennent à souligner que l’eau a plutôt bien conservé les vestiges, l’absence de lumière et une température constante ont permis de préserver les sites enfouis, tandis qu’autour du lac beaucoup de sites ont subi les ravages du temps ou encore des pilleurs. L’un des problèmes majeurs sera de conserver ce matériel fragile au moment de son extraction. Deux personnes seront en charge « de la conservation préventive des pièces retrouvées ». Ce n’est pas la seule difficulté, en Bolivie l’équipement de plongée est très rare et très cher, il faut donc le faire venir depuis le Pérou voisin ou encore de Belgique. À cela s’ajoutent les conditions géographiques du lac situé dans une zone isolée à haute altitude, plonger à 10 m de profondeur en ces lieux revient à plonger à 20 m en Europe, ce qui réduit le temps d’immersion de moitié.
Pour être viable, le projet doit bénéficier de 600 000 euros de fonds, une somme que les scientifiques tentent de réunir avec le soutien de mécènes et le tournage d’un documentaire « l’Amérique latine est encore un monde magique, inexploré où tous les mythes vivent et se ressentent au sein de toutes les communautés qui ont fréquemment contact avec les grands centres », a déclaré Medina.
Dans le but d’informer le grand public sur cette opération d’envergure, les fouilles qui seront effectuées au lac Titicaca par le CASA (Centre d’archéologie subaquatique andine) feront l’objet d’un documentaire réalisé par Frédéric Cordier, réalisateur, scénariste et coproducteur de documentaires coproduits par la RTBF, France 5 et la télévision espagnole .
Dans le cadre de cette initiative scientifique menée au Titicaca (Proyecto Huiñaimarca PH13), le réalisateur belge réalisera un documentaire audiovisuel abordant l’intégralité de la campagne de fouilles sous forme d’enquête subaquatique et terrestre qui présentera dans sa globalité les tenants et les aboutissants de cette aventure dans les eaux sacrées du lac, le plus grand lac d’Amérique du Sud en volume d’eau et en longueur.
Le lac est pour les civilisations précolombiennes le lieu où est né le soleil (le dieu Inti) et où s’est constitué l’univers, il remplit avec le Tiwanaku la fonction de lieu d’origine.
Du côté péruvien, la reconstitution de la sortie traditionnelle du couple mythique, Manco Capac et Mama Ocllo, des eaux sacrées du lac Titicaca, se tient chaque année. Selon la légende, la civilisation inca descendrait de Manco Capac et de son épouse-sœur Mama Ocllo, fils des dieux Inti (soleil) et de Pachamama (terre). Le couple fondateur est sorti des eaux du lac Titicaca, un bâton d’or à la main, et chercha un lieu fertile où celui-ci s’enfoncerait facilement dans le sol, c’est ainsi que la capitale Cuzco, « le nombril du monde », fut créée.
Dans le cadre de ce projet, il s’agira de dépasser la connotation sacrée du lac pour analyser, concrètement, le rôle que ce lieu a joué sur le plan socio-économique régional, en se concentrant sur la nature même du contexte environnemental (au moyen du patrimoine archéologique subaquatique, côtier et insulaire). Cette expédition archéologique comptera sur la présence de scientifiques spécialisés belges, boliviens, péruviens, espagnols, français et italiens, tous auront à cœur de révéler les vestiges d’une civilisation perdue.
(Aline Timbert)