De l’orient amazonien à la région andine de Mascarilla, au nord de l’Equateur, deux communautés ont décidé de ne pas rester inactives devant les défis de leur avenir ainsi que ceux de la planète. Ainsi, soucis de conservation de la biodiversité et tourisme durable sont les deux faces d’un même défi : la survie de l’Humanité.
Déjà connue pour sa résistance face aux tentatives d’exploitation pétrolière des grandes firmes d’extraction, c’est la traditionnelle fête d’Uyantza Raimi que la communauté Sarayaku a décidé de moderniser, prouvant que la remise en question de ses coutumes est nécessaire dans un monde au bord d’une crise environnementale irrémédiable.
Uyantza Raimi, c’est le nom d’une fête traditionnelle dans ce territoire quechua de la forêt amazonienne où règnent les couleurs, les saveurs et les danses et qui consiste en la célébration de la conservation de leur territoire et de leur identité indigène.
Pour Patricia Gualinga, représentante Sarayaku, engagée notamment lors des discussions de la COP21, cette année, comme toutes les autres « nous, les ‘enfants du jaguar’, nous sommes remémorés notre identité avec joie, bonté et solidarité » lors de cette fête de remerciement et de connexion qu’entretient ce peuple avec la nature.
Pendant qu’un groupe d’environ 150 hommes part chasser et pêcher durant 14 jours, les femmes et les enfants préparent la célébration en concoctant la chicha, boisson fermentée à base de manioc cuit et mâché et en confectionnant des poteries. Au retour des hommes, emplis des énergies protectrices de la forêt, sur fond de flûtes et de tambours, la chicha coule à flot, on danse, on rit, on se part de ses plus beaux atours, on procède aux offrandes à la Pacha Mama et on fume les quelques 120 kilos de viande et de poisson de toutes sortes : pacas, pécaris, agoutis, toucans, singes, poissons-chats… Toutes sortes d’animaux ? Non, puisque la communauté ne chasse plus ni aras ni tapirs car il s’agit d’espèces en voie d’extinction dû à leur reproduction lente.
Grupo Artesanal “Esperanza Negra” (Gaen) – Mascarilla Valle de Chota #SumakEcuadorTour #AllYouNeedIsEcuador #Carchi pic.twitter.com/4ZAxSnCj58
— Sumak Ecuador Tour (@sumakecuadort) July 19, 2016
De même, cette célébration de la vie et de la Pacha Mama avait lieu tous les ans, puis les 1500 habitants, sensibilisés au gibier de moins en moins nombreux, ont décidé que la célébration ait lieu tous les deux ans. Cette année, ils se sont donnés rendez-vous en 2020 afin de continuer à maintenir leurs fêtes traditionnelles et leur identité tout en respectant le cycle de la nature et en maintenant leur souveraineté alimentaire. Ils pensent même à espacer de 5 ans cette célébration pour s’adapter aux temps nouveaux, signe de la lutte dans la construction de leur autonomie et de leur conservation que cette communauté n’hésite pas à partager avec quelques 500 invités : leaders indigènes amis, prêtres, missionnaires et même des touristes.
C’est dans ce même esprit que les femmes descendantes des esclaves noirs de Mascarilla conjuguent artisanat et tourisme durable dans la vallée du fleuve Chota où vivent 38 communautés d’ascendance africaine qui représentent presque la totalité des 7% d’afroéquatoriens encore victimes d’exclusion et de racisme.
Des masques qui n’ont pourtant pas donné leur nom au village (« mascarilla » vient de « máscara » en espagnol qui veut dire « masque » mais qui, dans ce cas, vient du quéchua) mais que ces femmes ont appris à modeler à l’image de leurs ancêtres : visages allongés, nez épatés, lèvres proéminentes. Est alors né un sentiment d’appartenance et le masque de la honte fit place à la fierté et à la revendication de leur mémoire.
Pour Paquita Acosta, l’une des fondatrices de l’association Groupe d’Artisanat Espoir Noir (GAEN) et qui, comme ses camarades, n’avait jamais vu de masque africain, l’expérience a été une véritable révélation puisque : « Nous nous sommes rendus compte que nous possédions une fibre artistique cachée que nous n’avions jamais vue. On l’a dans le sang ».
Mascarilla a également développé, à l’aune du succès des ventes de leurs poteries, un projet d’ethnotourisme, car avec le soutien de plusieurs ONG, deux cabanes ont été construites pour les visiteurs qui peuvent aussi cohabiter avec les familles lors de leur séjour.
Ce sont encore les femmes qui sont les protagonistes de ce projet et qui peuvent ainsi se libérer d’une double discrimination (raciale et sexuelle) par leur travail qui leur a apporté jusqu’à 500$ par mois dans les périodes de vaches grasses. Ces dernières années, en même temps que le déclin de l’économie nationale, leurs revenus ont diminué mais elles espèrent toutes que l’année 2017, déclarée Année Internationale du Tourisme Durable pour le Développement, rimera avec reprise de leurs activités.
Importance de récupérer et revendiquer la mémoire de leur peuple : voici les maîtres mots de ces femmes qui, à l’image de Lucía Lara, travaillent cette terre andine et dessinent les contours des visages en glaise : « Nous sommes des artistes aux mains noires ».
Deux exemples de communautés, pourtant éloignées, qui démontrent que des réponses aux défis de l’Humanité se trouve peut-être dans la défense et la revendication de cultures bigarrées capable de prendre en main le futur de la planète vers un « Nouveau Monde ».