Le jésuite Bartomeu Meliá récompensé en Espagne pour son action envers le peuple guarani

Le jésuite d’origine espagnole, Bartomeu Meliá, (originaire des Iles Baléares) a reçu, le 6 septembre 2011, le prix Bartolomé de Las Casas 2011 des mains du Prince des Asturies, Felipe d’Espagne, pour sa défense de la langue guarani et des droits indigènes notamment au Paraguay.
La cérémonie, qui s’est tenue au palais de la Zarzuela (la résidence du roi d’Espagne), a mis l’accent sur le travail de recherche du prêtre, ainsi que sur son engagement humanitaire en faveur des peuples guarani. Le prix Bartolomé de Las Casas a été créé en 1991 par le Secrétariat de coopération internationale et la Casa de América (Maison d’Amérique) ou palais de Linares, dans le but de saluer l’engagement d’individus, d’institutions ou d’organisations qui luttent en faveur du respect des droits indigènes, et qui s’investissent au quotidien pour valoriser entre autres leur patrimoine linguistique, culturel, ou encore spirituel.

Bartomeu Meliá

Tous ceux qui se sont intéressés un jour à l’histoire coloniale en Amérique latine, connaissent le nom de Bartolomé de Las Casas (né en 1484 à Seville), figure de proue de la lutte en faveur des indigènes au XVIe siècle. Ce prêtre dominicain, qualifié de « défenseur des Indiens » dénonça avec force et détermination les abus et même les crimes dont était victime la population indigène sous le joug des colons espagnols, avides de richesses, et exploitant sans état d’âme la main-d’oeuvre autochtone sous le couvert d’une mission évangélisatrice. Ce prix, au-delà du symbole qu’il représente, témoigne donc de la prise de conscience de nos sociétés dites modernes envers les communautés natives, autrefois méprisées, elles font aujourd’hui l’objet d’attention, en effet ces populations n’attestent-elles pas du pouvoir survivance d’une culture malgré des obstacles séculaires ?

Cependant, il ne faut pas idéaliser le tableau, même si de nombreuses institutions ou États s’intéressent au sort réservé à ces communautés fragilisées, et prennent des dispositions pour préserver leurs droits, les menaces pèsent toujours et les mesures de protection ne sont pas toujours prises en conséquence et encore moins appliquées sur le terrain.
Parmi les dangers, la destruction de leur habitat naturel, l’acculturation, les enjeux financiers liés à l’exploitation de leurs terres ancestrales… Expulsés par les planteurs de soja et les éleveurs de bétail, les Guarani vivent dans la misère en raison de la diminution de leurs terres de culture et beaucoup souffrent de malnutrition, en particulier la population infantile. Au Paraguay « il reste 2% de la forêt qui existait jadis » et cette déforestation s’est produite ces 70 dernières années, comme le confie un expert.

Bartomeu Meliá, né à Majorque, se bat depuis des années pour défendre le peuple aché-guayaquí; et pour préserver la langue guarani, il est reconnu, à ce jour, comme l’un des plus grands experts linguistiques, mais il est également respecté en qualité d’anthropologue et d’ethnologue, il a d’ailleurs rédigé de nombreux ouvrages de référence sur le peuple guarani.
Il a consacré la plus grande partie de sa vie (dès 1954) à l’étude de la langue et de la culture guarani au Paraguay et au Brésil, n’hésitant pas à dénoncer certaines exactions comme ce fut le cas en 1976, suite au massacre systématique perpétré contre ce peuple sous la dictature militaire, un engagement qui lui avait valu une expulsion du territoire. C’est alors qu’il prit la direction de Rome avant de s’en retourner vers l’Amérique du Sud et plus précisément au Brésil où il a vécu avec les indigènes enawene-nawé dans l’état du Mato Grosso do Sul au sud-est du pays « j’ai eu la chance d’être accepté », reconnait-il avec humilité. La tribu, établie à l’orée du bassin amazonien, n’avait jamais eu de contact avec le monde extérieur, quelques années seulement avant son arrivée « des communautés indigènes évoluant non loin, ignoraient jusqu’à leur existence ». Le jésuite se montre critique vis-à-vis des programmes d’intégration des indigènes dans les sociétés urbaines suite à son expérience « On voulait alors éduquer les indigènes pour en faire de parfaits citoyens brésiliens, sans leur demander leur avis ou s’ils étaient heureux ». Il ajoute « On ne peut pas remplacer une culture par une autre ». Il a passé 15 ans au Brésil avant de revenir au Paraguay, le jour où le régime de Stroessner s’est écroulé, le 3 février 1989 pour être précis « Depuis lors je continue de travailler » confie le prêtre. Les années qui passent n’ont pas eu raison de la détermination de cet homme volontaire et engagé, aujourd’hui âgé de 79 ans « Je n’arrive plus à dormir à même le sol ni à marcher sur de longues distances, mais il y a de nombreuses choses qui me motivent pour travailler ». Le prêtre, visiblement amer, regrette certains rendez-vous manqués « La Cour interaméricaine des Droits de l’Homme qui siège à San José au Costa Rica, n’est pas parvenue à ce que le gouvernement paraguayen restitue les terres aux indigènes, et ce à trois reprises, le dernier échec date d’octobre 2010 », il ajoute avec conviction « La société paraguayenne n’est pas favorable aux indigènes. Ils parlent guarani et évoquent ‘les frères indigènes’, mais dans les faits la réalité est bien différente ».

Durant la cérémonie officielle, le jésuite (ordre religieux de la Compagnie de Jésus fondé par Ignace de Loyola, il fut présent dès le XVIe en Amérique du Sud), accompagné par le directeur des relations culturelles et le scientifique de la AECID (Agence espagnole de coopération internationale pour le développement), Carlos Alberdi, ainsi que par de nombreux représentants d’ambassades ibéro-américaines comme le ministère de la Culture du Paraguay, a loué le peuple guarani pour son acceptation de son mode de vie dénué de toute préoccupation matérialiste « parfois nous décrivons ces peuples en disant’ ils ne possèdent pas ceci’ ‘ils ne possèdent pas cela’, or c’est précisément ce point qui atteste d’un bon vivre » a-t-il déclaré.
Melià a cité en exemple l’usage de vêtements en soulignant que, pour les Guarani, ils représentaient un manque d’hygiène et une source de contamination. D’autre part, il a déclaré que si les Guarani ne connaissaient pas l’écriture, cela avait eu le mérite de favoriser le développement linguistique et les traditions orales « grâce à eux, l’oralité est extraordinairement développée, et ils établissent ainsi des liens très profonds et mettent en place différents rituels ».
Ce sont des peuples pour qui la mémoire joue un rôle essentiel. En ces lieux, un adolescent de 14 ans est capable d’énumérer 400 noms de plantes, « alors que les enfants de la ville identifient à peine un arbre », une déclaration qui témoigne de la fascination du prêtre pour cette culture . Le prêtre attribue également le bon vivre de ces peuples à la relation qu’ils’entretiennent avec la terre, à savoir un lien « familial », « le maïs qui pousse est comme un enfant qui grandit ».

Le jésuite a également évoqué avec une envolée lyrique le lien intime qui relie les hommes à la nature « la terre est belle comme un corps, les couleurs, les sons prennent toute leur importance et les relations économiques sont marquées par une approche soutenable et par une politique de la main tendue : là-bas, la base économique est le don, posséder revient à donner, et la possession est toujours modérée ». Il conclu en précisant que notre société de consommation devrait apprendre de cette réciprocité, pas seulement d’un point de vue économique, mais aussi et surtout d’un point de vue des relations humaines.

De son côté, la secrétaire d’État à la coopération internationale espagnole, Soraya Rodríguez a souligné l’importance des réalisations du prêtre dans le domaine de l’amélioration des conditions socio-économiques desdits peuples, et son implication à mettre en oeuvre une culture de dialogue et de tolérance. Elle a également valorisé sa défense active des peuples guarani afin qu’ils puissent préserver « leurs territoires, leurs terres et leurs coutumes » tout en saluant sa collaboration au projet Carte Guarani 2008 qui a permis de répertorier près de 500 communautés guarani évoluant entre l’Argentine, le Brésil et le Paraguay.

Ces dernières années avait été primés l’Association des Cabildos Indígenas del Norte del Cauca (ACIN) de Colombie, le Centre des droits de l’homme « Fray Bartolomé de las Casas » situé au Chiapas au Mexique, le juriste Raúl Ilaquiche de la communauté indigène équatorienne de Tigua Yatapungo, ou encore le Centre d’études théologiques d’Amazonie(CETA).

Par ailleurs, Bartomeu Meliá assistera aujourd’hui même, jeudi 22 septembre, à une conférence menée à la Casa de Colón de Valladolid intitulée « Présentation, Art, Vocabulaire et Trésor de la Langue Guarani » par l’universitaire Emilio Ridruejo (docteur à l’UVa ou université de Valladolid).

(Article rédigé par Aline Timbert)

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