Pérou : L’état d’urgence est finalement levé à Cajamarca, mais le dialogue reste tendu

Le gouvernement péruvien a levé vendredi 16 décembre l’état d’urgence qui avait été décrété dans la région andine de Cajamarca suite aux protestations menées par des opposants au gigantesque projet minier Conga. L’exploration minière, qui doit impliquer l’assèchement de 4 lacs-réservoirs (ils doivent être remplacés par des lacs artificiels pour approvisionner la population) dans une zone où les ressources en eau sont précieuses, suscite une grande inquiétude parmi des habitants soucieux de protéger leur habitat naturel et leur mode de vie.

De la même façon, les comptes bancaires du gouvernement régional de Cajamarca, qui avaient été bloqués par le Ministère de l’Économie et des Finances lors de la mise en place de l’état d’urgence (l’État soupçonnant les autorités locales de financer le mouvement des grévistes), ont été finalement rouverts.

Pour rappel, le président de la République de gauche Ollanta Humala avait décrété, lundi 5 décembre, l’état d’urgence dans quatre provinces de la région de Cajamarca (Cajamarca, Celendín, Hualgayoc et Contumazá) où la mise en place du projet minier Conga (dont l’investissement est estimé à 4 800 millions de dollars) avait provoqué un vif mécontentement parmi les locaux. Ces derniers avaient multiplié les manifestations en signe d’opposition instaurant même un blocus sur les routes et à l’aéroport paralysant le trafic aérien et terrestre. Les manifestants de Cajamarca avaient instauré le 24 novembre une grève illimitée pour empêcher que l’exploitation aurifère et cuprifère menée par la compagnie nord-américaine Newmont Mining ne débute sur leurs terres (les mines de Yanacocha sont contrôlées actuellement par la compagnie nord-américaine Newmont Mining Corporation et la Compañia Peruana Buenaventura ).

Manifestations à Cajamarca

Les grèves et blocus débutés fin novembre avaient causé des problèmes d’approvisionnement en carburant, en médicaments et en denrées alimentaires, et avaient contraint à la fermeture des commerces et des écoles. L’instauration de l’état d’urgence (qui avait impliqué le déploiement de 5000 policiers dans les quatre provinces concernées), jugé nécessaire par l’État pour rétablir l’ordre et favoriser le retour à la normalité, avait été remise en question par de nombreux opposants au gouvernement, mais aussi par de nombreux organismes internationaux comme Amnistie internationale. Beaucoup ont considéré cette réponse à des mouvements de grèves non violents comme démesurés et  anti-démocratiques du fait que cette mesure implique, outre une présence policière accrue, la suspension des libertés individuelles fondamentales telles que le droit de réunion (elle permet également les arrestations sans mandat). L’entreprise Yanacocha avait annoncé, à la demande du gouvernement, la suspension du projet Conga le 29 novembre afin de ne pas envenimer la situation, depuis la déclaration de l’état d’urgence aucun n’incident n’avait été à déplorer.

Les habitants de la région sont inquiets de l’impact environnemental que pourrait engendrer le début de la prospection minière et, par conséquent, ces communautés essentiellement paysannes craignent pour leurs activités agricoles, piscicoles ou encore d’élevage sachant que  70 % de l’activité économique à Cajamarca est agro-pécuaire.

La décision de la Présidence du conseil des ministres (PCM) de mettre fin à l’état d’urgence initialement prévue pour une durée de 60 jours a pris forme de façon officielle via la publication d’un décret suprême diffusé vendredi dans le journal officiel El Peruano. Le PCM avait justifié sa décision en déclarant que « l’ordre interne était rétabli ». Cette annonce était accompagnée d’une volonté de reprise de dialogue pour résoudre de façon pacifique le conflit qui oppose l’État et les protestataires sur ce sujet épineux. Ce projet représente le plus gros investissement dans l’histoire du pays, le Pérou est le second producteur mondial de cuivre, d’argent, et de zinc ainsi que le sixième producteur d’or, à ce titre le secteur minier est l’un des moteurs les plus importants de l’économie nationale, les exportations de métaux constituent 60 % des envois vers l’extérieur dans leur globalité.

Óscar Valdés à Cajamarca

Lundi 19 décembre s’est donc tenu une réunion visant à résoudre le conflit qui ne s’est pas avérée fructueuse, on peut même parler d’une véritable impasse. Après deux heures d’une réunion qui s’est tenue dans la ville de Cajamarca (située à 850 km au nord-est de Lima), le nouveau premier ministre Óscar Valdés (ancien militaire désigné premier ministre après la récente démission de Salomón Lerner) , accompagné de ministres d’État, a signé un document qui prévoit deux autres réunions et qui fait mention d’une expertise internationale afin de mettre un terme définitif aux dissensions. Après avoir signé ce document lors d’un acte public retransmis à la télévision par la chaîne d’Etat TV Perú; Valdés a invité le président régional de Cajamarca, Gregorio Santos, à souscrire au document comme convenu, mais ce dernier a finalement refusé.

Le premier ministre a alors déclaré « nous nous étions mis d’accord pour signer ce document, nous avions donné notre parole de gentlemen » avant d’ajouter « si vous ne souhaitez pas signer, vous m’excuserez, mais je ne vois pas pourquoi je devrais rester plus longtemps à cette réunion. Vous serez le responsable de cet échec et non pas moi », a-t-il déclaré visiblement mal à l’aise et courroucé.

Gregorio Santos

Gregorio Santos a gardé le silence, mais il a signalé plus tard que cette réunion avait été « excluante » du fait que le premier ministre n’avait pas permis aux représentants des organisations sociales et aux leaders des communautés de participer à l’entretien « sous le prétexte que le premier ministre ne souhaitait pas écouter les dirigeants politiques qu’ils considèrent comme des agitateurs sociaux ». Il a, à ce titre affirmé « que le premier ministre avait dès lors violé les principes élémentaires du dialogue ». Parmi les leaders non conviés à la table des négociations, on peut mentionner Wilfredo Saavedra, président du Frente de Defensa Ambiental de Cajamarca ( Front de défense environnementale de Cajamarca) qui avait été arrêté le 6 décembre à Lima pour contrôle d’identité.Valdés a accusé Saavedra d’essayer de semer le chaos à Cajamarca en le soupçonnant de mobiliser 150 personnes sur la place principale de la ville pour reprendre les manifestations anti-Conga.

Le document signé par le ministre et certains maires locaux prévoit donc la mise en place d’une expertise internationale impartiale qui devra statuer définitivement sur la viabilité du projet Conga, une initiative que le gouvernement juge équitable et neutre. Ce chantier monumental d’extraction d’or et de cuivre doit normalement débuter en 2014 et devrait permettre l’extraction de 320 tonnes d’or par an. Une autre rencontre entre les représentants de Cajamarca et le gouvernement est d’ores et déjà prévue le 27 décembre à Lima afin de réunir les autorités et les équipes techniques de la région concernée pour aborder « les thèmes techniques et juridiques de l’expertise internationale du projet minier Conga ». Puis une nouvelle réunion est prévue à Cajamarca avec les autorités locales le 13 janvier pour poursuivre la débat « en présence ou pas du président régional », comme l’a souligné Valdés.

Le gouvernement tente de rassurer les populations locales en expliquant que le projet devra respecter les normes environnementales et les réserves hydrauliques en adoptant « un comportement responsable ». De son côté, l’entreprise Newmont a affirmé dans un communiqué de presse que les impacts sociaux et environnementaux ont été évalués dans différentes études effectuées ces 13 dernières années et qu’elles ont été réalisées par « des entreprises respectées et reconnues au niveau international ». Cependant, les locaux émettent de gros doutes concernant la conformité de l’Étude sur l’impact environnemental (estudio de impacto ambiental ou EIA) validée par le gouvernement du prédécesseur d’Ollanta Humala, à savoir le président Alan García, selon eux l’analyse ne s’est pas penchée sur les études hydrogéologiques susceptibles de garantir la préservation des ressources naturelles.

Actuellement,  le secteur minier représente une source d’investissement considérable devant favoriser la croissance économique du Pérou. Une situation bien difficile à gérer en différents points du pays, le Pérou est confronté actuellement à plus de 200 conflits sociaux liés au secteur minier ou encore énergétique dans les Andes, mais aussi en Amazonie. Récemment, Humala avait souhaité se montrer rassurant en déclarant « Laissez-moi vous prouver que l’on peut avoir à la fois l’or et l’eau ». Des propos qui n’ont pas réellement convaincu une population dubitative quant aux risques de contamination à court et à long terme liés à l’extraction d’or et de cuivre !  Par ailleurs,  les communautés de ces régions riches en matières premières se sentent exclues des retombées économiques liées à l’exploitation minière malgré l’instauration du « canon minier » (participation financière dont jouissent les gouvernements locaux soit les municipalités, provinces, districts et les gouvernements régionaux sur le total des recettes et rentes obtenues par l’État pour l’exploitation des ressources minières sur le territoire péruvien). En effet, ironie du sort ces régions abritent des populations particulièrement démunies et pâtissent d’un manque d’infrastructures basiques.

Ollanta Humala et Salomón Lerner

Cette crise sociale a d’ailleurs suscité une crise ministérielle puisque le premier ministre à tendance centriste Salomón Lerner a donné sa démission après cinq mois d’exercice du pouvoir, il y a une dizaine de jours, provoquant un remaniement au sein du gouvernement. Ce sont dix ministres qui ont d’ores et déjà été remplacés alors que le président de gauche nationaliste Humala a été investi officiellement dans ses fonctions au mois de juillet.

Ce conflit social constitue une véritable épreuve de feu pour Humala qui a promis durant la campagne électorale de respecter la voix du peuple (n’est-il pas celui qui a approuvé la « loi de consultation préalable » ?), et en particulier celle des natifs qui l’ont soutenu et conduit à la tête du pays. Cependant, le chef de l’État doit également favoriser le développement économique au sein du pays avec pour principal dynamique l’exploitation d’un sous-sol riche en matières premières.

(Aline Timbert)

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