En Bolivie, le Tipnis suscite toujours la polémique. Morales prévoit une consultation des indigènes

Le président de Bolivie, Evo Morales, a approuvé vendredi 10 février, au Palais du gouvernement, la loi de consultation préalable qui vise à solliciter l’opinion des indigènes du parc naturel Tipnis au sujet de l’intangibilité de la réserve.

Les natifs devront prochainement trancher et répondre favorablement ou pas à la construction d’une route traversant le parc naturel situé au coeur de la forêt amazonienne, un projet qui a suscité un véritable conflit social depuis plusieurs mois dans le pays. L’annonce de cette consultation intervient 102 jours après que le chef de l’État ait promulgué une loi déclarant « l’intangibilité » du territoire indigène du parc national Isiboro Sécure (une zone qui se situe entre les régions de Cochabamba, au centre du pays, et le Beni situé au nord-est). La nouvelle norme, qui selon des experts annule purement celle souscrite le 24 octobre en ce même Palais du gouvernement, fixe un délai de 120 jours pour la réalisation de la consultation. Cette dernière a pour but de mettre définitivement fin à la polémique qui divise le pays et est à l’origine d’un important mouvement social.

Le Congrès vote la loi de consultation sur le tipnis

Face à un auditoire composé par des parlementaires du MAS (Mouvement vers le socialisme), des indigènes du Conisur (proches de l’officialisme) ou Consejo Indígenas del Sur, et des ministres, le président Morales a défendu la loi de consultation approuvée en accord avec les manifestants favorables à la construction du tronçon routier controversé.

« Cette consultation sera ce qu’il y a de plus légitime, de plus légal, et de plus constitutionnel d’un point de vue national, mais aussi international », a déclaré le chef de l’État socialiste ajoutant que ceux qui s’opposaient à la consultation, faisaient fi de la Constitution en vigueur. La présidente du Sénat, Gabriela Montaño, a également défendu la loi, qui selon elle, devrait favoriser le dialogue entre les indigènes au lieu de la Ley corta 180 qui limite l’exploitation des ressources naturelles y compris dans le cadre d’activités d’autosubsistance des habitants du Tipnis.

La première marche protestataire des indigènes du Tipnis, à l’encontre du passage de la route à travers la réserve, avait été organisée par la Confédération des peuples indigènes de Bolivie (Cidob ou Confederación de Pueblos Indígenas del Oriente de Bolivia ), et avait permis la promulgation de la Ley corta, qui établissait le caractère intangible du parc et qui annulait, de fait, la construction routière prévue par les autorités.

Les marcheurs de la Cidob

Mais une autre marche menée par quatre communautés évoluant dans la réserve, les yuracaré, mojeño trinitario, mojeño ignaciano et chimán, a été menée durant 40 jours pour exiger, cette fois, la construction de la route, qui selon les défenseurs du projet, permettrait l’amélioration de l’accès à la santé et à l’éducation. Face à cette nouvelle mobilisation favorable à son dessein, le chef de l’État a approuvé une loi permettant aux natifs d’être consultés sur le destin du Tipnis.

Tandis que la Cidob lutte avec acharnement depuis le mois d’octobre pour maintenir le caractère intangible du parc naturel et ainsi empêcher la construction du second tronçon routier ou tout autre projet mettant à mal l’équilibre écologique du lieu (telles des activités de prospection pétrolières), de son côté, la Conisur, souhaite abroger la Ley Corta afin de valider la construction routière qui devra permettre de relier sur 306 km Villa Tunari à San Ignacio de Moxos.

Ce projet d’infrastructure déclenche les foudres de ses détracteurs qui le jugent préjudiciable à l’environnement ainsi qu’ à l’équilibre et harmonie de la vie communautaire des peuples natifs, tandis que d’autres le considèrent comme un moyen d’améliorer leurs conditions de vie en favorisant le commerce ou encore l’accès aux structures basiques dont ils sont jusque-là privés (écoles, hôpitaux). Cette construction d’un montant de 330 millions de dollars est financée par le Brésil, un crédit accordé par la Banque Nationale de Développement Economique et Social (el Banco Nacional de Desarrollo Económico y Social ou BNDES) du pays lusophone, mais elle est depuis plusieurs mois paralysée suite aux protestations actives qui n’ont pas permis de finaliser le tronçon de 60 km traversant le coeur de la réserve naturelle.

Bon nombre de communautés indigènes qui vivent dans la réserve naturelle de Isiboto-Sécure craignent que le projet ne provoque la déforestation et la destruction de la biodiversité et qu’il ne favorise l’expansion de cultures illégales de la feuille de coca (une exploitation dont les quotas sont réglementés par l’État et destinés à la consommation légale pour éviter toute forme de dérive). Une mobilisation intensive avait donc été lancée dès le 15 août pour mettre un frein définitif à la voie de communication. Mais aujourd’hui les cartes sont redistribuées, et l’annulation du projet de nouveau soumis à conditions.

Manifestants du Conisur arrivant à La Paz

Le gouvernement a d’ores et déjà prévu de former un groupe d’indigènes du Conisur afin qu’ils informent les habitants du Tipnis sur la consultation. Le dirigeant du conseil indigène du Sud Conisur Arico Vilche, a informé que du personnel rattaché au gouvernement formerait à partir d’aujourd’hui et pour 10 jours, 15 corregidores sur les aspects liés à la consultation « en qualité d’instruments d’information, nous allons tout simplement aiguiller les gens afin qu’ils se prononcent favorablement ou non ». Ce dernier a affirmé que des « colonos » (c’est le cas des familles qui ont émigré vers la province du Chapare, dans le département de Cochabamba, pour cultiver la coca) installés ici depuis 1985 à Patiño, Bolívar, Santísima Trinidad, Aroma, Sécure, Muleto et Choa (secteur appelé Poligono 7), appartenant à la Conisur, seront consultés, tout en précisant que les autres colonos n’entreraient pas en ligne de compte. Un sénateur du mouvement socialiste MAS, l’un des législateurs qui oeuvrent à une sortie de conflit, a expliqué que les colonos mariés à des femmes indigènes et acceptées par la communauté pourraient être aussi consultés, ce qui serait logiquement favorable au président Morales.

À la différence du reste du parc, le concept de propriété individuelle existe au sein de la Conisur, ce qui selon le dirigeant de la CIDOB Adolfo Chávez, est contraire aux principes communautaires défendus par les indigènes.

Face aux tensions qui divisent les natifs entre, d’une part les défenseurs de la route et d’autre par les opposants au projet, l’ONU a lancé un appel au dialogue et au calme « nous invitons tous les acteurs sociaux et les institutions publiques à faire le maximum d’efforts dans un cadre légal pour trouver des solutions pacifistes, maintenir le dialogue et adopter une attitude tolérante, il faut éviter de dénigrer ceux qui pensent différemment, et rejeter les attitudes agressives. Il convient d’adopter en toutes circonstances les moyens pacifiques pour se faire entendre ». Le chargé d’affaires de l’ambassade des États-Unis en Bolivie, John Creamer, a soutenu qu’il fallait trouver une issue pacifique au conflit du Territorio Indígena Parque Nacional Isiboro Sécure (TIPNIS) en s’appuyant sur le respect des lois nationales et internationales. « Nous avons toujours dit, en accord avec les positions, des Nations-Unis qu’une solution pacifique devait être trouvée, en excluant la violence et en favorisant le dialogue conformément aux lois boliviennes et aux standards internationaux », a soutenu John Creamer.

Le président de la Cidob

La Confederación de Pueblos Indígenas del Oriente de Bolivia (CIDOB) était parvenue après 66 jours de marche entre Trinidad et La Paz, capitale du pays, à obtenir la promulgation d’une norme qui mettait son veto à la construction du tronçon routier II. En revanche, le Consejo Indígena del Sur (Conisur), qui s’est mobilisé durant 41 jours (une marche menée par environ 2000 personnes) entre Isinuta (Chapare) et La Paz afin de réclamer la construction de cette voie routière, a obtenu du gouvernement la mise en place d’une consultation qui remet tout en question.

« Si après consultation il s’avère que les natifs ne désirent pas la route, la loi sera respectée (…) mais s’ils jugent opportun de revoir la notion d’intangibilité ou de valider la route, il faudra dans ce cas adapter la Ley Corta aux résultats de la consultation », a affirmé le président Morales.

La Cidob doit organiser une réunion nationale avec les principaux leaders indigènes et corregidores du Tipnis après le carnaval pour débuter une nouvelle marche vers la Paz afin d’exiger du chef de l’État qu’il respecte la loi qui interdit le passage de la route au sein du Tipnis.
L’organisation Cidob a annoncé jeudi 9 février qu’elle poursuivait le président Evo Morales devant la Commission internationale des droits de l’homme et l’Organisation internationale du Travail pour violation présumée des droits des autochtones en Bolivie.
Le représentant des peuples indigènes de Bolivie orientale (CIDOB) et député, Pedro Nuni a déclaré que Morales ne respectait pas l’accord souscrit avec les indigènes des basses terres concernant le renoncement à la construction d’une route controversée traversant la réserve écologique.

« Nous dénonçons devant la Commission et l’OIT, la fausseté de l’information fournie (par le gouvernement) à ces organismes et le manque de crédibilité de l’État plurinational qui s’est engagé à la défense du TIPNIS (réserve écologique) via une loi pour ensuite se rétracter », a déclaré Nuni.

Pour rappel, le parc Tipnis s’étend sur environ 12 363 km², il a été déclaré en septembre 1990 comme Territoire indigène après plusieurs années de lutte menée par les natifs.

(Aline Timbert)

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