Bolivie : Les communautés indigènes continuent de braver le président Evo Morales

Le gouvernement bolivien a annoncé mercredi 30 mai 2012 qu’il y aurait une consultation des communautés indigènes de l’Altiplano avant d’autoriser l’entreprise canadienne South American Silver à procéder à l’exploitation du gisement minier Mallku Khota, qui abrite des réserves en or et en autres minerais. « Il y aura une consultation publique avant d’exploiter Mallku Khota », a déclaré le ministre des Mines, Mario Virreira, lors d’une conférence de presse accordée au journal bolivien ‘El Diario Nacional’.

Mallku Khota

Le haut fonctionnaire a précisé que la consultation aurait pour objectif de demander aux natifs si l’exploitation du gisement pouvait être effectuée par la compagnie canadienne, par une société mixte ou bien encore par l’État. Cette annonce a été effectuée alors que des indigènes du département andin de Potosi, où se trouve le gisement Mallku Khota, arrivaient au bout du troisième jour d’une marche protestataire menée contre l’entreprise minière qui a débuté des activités d’exploration dans la zone avec l’approbation du gouvernement et des ayllus. « Nous maintenons fermement la position exprimée par les cinq ayllus qui représentent les véritables habitants de la région et qui ont manifesté leur approbation afin que l’entreprise poursuive son travail d’exploration, ils ont demandé à être consultés avant que ne débute la phase d’exploitation », a expliqué le ministre. Il a ajouté « nous allons demander à ce que toutes les personnes qui travaillent à l’exploitation de l’or de façon illégale quittent les lieux immédiatement, ceci n’est pas négociable car ses activités s’inscrivent en dehors du cadre de la loi, et nous ne pouvons donc pas négocier sur ce point ». Actuellement le gouvernement de gauche du président de la République Evo Morales est confronté à deux conflits sociaux d’envergure qui l’oppose à des communautés indigènes d’Amazonie et des Andes. Les natifs boliviens avaient entrepris cette marche le 28 mai depuis la région de Potosi à la frontière avec le Chili et l’Argentine pour exiger le retrait pur et simple de l’entreprise canadienne de cette zone, ils prétendaient ainsi unir leurs forces aux indigènes d’Amazonie qui protestent depuis plusieurs mois contre la construction d’une route dans la réserve naturelle du Tipnis.

Marche des natifs amazoniens

Des centaines d’indigènes, la majorité d’origine quechua avait quitté dans la soirée du 28 mai la localité de Mallku Khota, situé à environ 300 km de la capitale, La Paz, une information révélée par les médias locaux. Ces derniers rejettent la présence de l’entreprise canadienne en raison de l’absence de consultation préalable, un droit revendiqué dans la législation nationale et qui stipule que les natifs doivent être consultés concernant toutes les activités menées sur leurs territoires, dans ce cas précis il s’agit de l’exploitation du sous-sol. À l’instar du voisin péruvien frappé par le conflit social Conga, les communautés indigènes craignent que l’exploitation minière ne génère une pollution des bassins hydrauliques de la région. Au début du mois, un affrontement entre indigènes favorables au projet et opposant avait fait 10 blessés. Les natifs rejetant le projet minier avaient alors retenu en otages de policiers en guise de protestation face à l’arrestation de leur leader Cancio Rojas, accusé de promouvoir la violence. Selon l’un des leaders indigènes Rafael Quispe, les natifs ont entrepris cette marche pour exiger la libération de Cancio Rojas, mais aussi pour soutenir les communautés amazoniennes qui ont débuté, il y a un mois, une nouvelle marche protestataire jusqu’à la Paz pour exiger l’annulation pure et simple de la construction d’un tronçon routier traversant le Territoire indigène et Parc national Isiboro Sécure (Tipnis).

Beaucoup craignaient des affrontements entre les manifestants et les partisans du projet routier, favorables à la politique du pouvoir en place, mais ce ne fut pas le cas cette fois à la différence des incidents survenus il y a environ trois semaines à San Ignacio de Moxos. Les natifs amazoniens, qui ont parcouru depuis le 27 avril près de 300 km depuis la ville amazonienne de Trinidad, exigent du président qu’ils respectent la loi qu’il a lui-même promulguée en 2011 et qui interdit tout projet routier dans cette réserve naturelle. Le mandataire avait approuvé la norme sous la pression d’une première marche de natifs amazoniens vers la capitale, puis s’était ravisé à l’occasion d’une contremarche menée par ses partisans. Il a récemment évoqué la possibilité d’organiser un référendum pour consulter les indigènes sur ce projet de route financée par le Brésil.

Le chef de l’État propose d’organiser un référendum dans les départements de Cochabamba et du Beni dans le but de valider ou non la construction de la route reliant Villa Tunari-San Ignacio de Moxos. « Nous allons consulter les deux départements au moyen d’un référendum. Il suffira d’approuver ou non la route », précisant que si le projet était validé le tracé serait effectué afin de préserver au mieux la réserve naturelle. Pour la vice-présidente de la Confédération des peuples indigènes de Bolivie (Cidob), Nelly Romero, il s’agit ni plus ni moins d’un stratagème mis en place par les autorités gouvernementales dans le but d’obtenir gain de cause, sachant que les autorités parviennent grâce à une forte propagande à embrigader les esprits de certains membres des communautés. « Ils ne savent plus comment parvenir à leurs fins. Tout d’abord ils ont approuvé la loi 180, puis la loi 222. Si la loi 222 évoque la consultation préalable alors quel est le but de ce référendum », a-t-elle précisé en dénonçant des tactiques politiciennes. «  Personne n’arrêtera la marche, peu importe ce que prétend le gouvernement, nous allons poursuive jusqu’à ce qu’il y ait justice pour les indigènes de notre pays », a affirmé Romero. Pour sa part, le député indigène Bienvenido Zacu a signalé qu’il n’y avait aucune confiance au sein du mouvement indigène envers les mesures que prétend adopter le gouvernement.

Le dirigeant de la Cidob, Lázaro Tacoo, a indiqué que le président Evo Morales, en évoquant la possibilité d’un référendum, reconnaissait son « erreur »et admettait indirectement qu’il n’obtiendrait pas le soutien des communautés au sein de la zone protégée du Tipnis en cas de « consultation préalable ».

Le gouvernement soutient depuis le lancement de ce projet que la nouvelle route sera source de développement pour la région , l’une des plus pauvres du pays. Le ministre bolivien des Travaux publics, Vladimir Sánchez, a expliqué que la consultation concernant la route aura lieu à partir du 10 juillet et que les résultats seraient connus le 9 septembre. Ce sont près de 3000 familles appartenant 68 communautés (chimán, yuracaré et mojeño-trinitario) qui doivent être sollicitées pour exprimer leur opinion sur cette consultation. Les natifs d’Amazonie ont demandé dimanche à la OEA d’intervenir pour suspendre le projet soulignant que leurs droits étaient clairement menacés. La requête a été présentée quelques heures avant que l’Organisation des États Américains débute à Cochabamba son assemblée annuelle de ministres des Affaires étrangères. La OEA pourrait promouvoir le dialogue interne en Bolivie et activer des mécanismes de protection des droits de l’homme, ont déclaré des leaders indigènes après une rencontre avec José Miguel Insulza, secrétaire général de l’organisme continental. Les indigènes à travers le porte-parole,  Adolfo Moye, représentant de la Confederación de Pueblos Indígenas del Oriente Boliviano (Confédération des Peuples indigènes de l’Oriente) ont dénoncé devant la société civile la violation de leurs droits. Le gouvernement a annulé au début du mois d’avril le contrat de construction de la route en question signé avec la compagnie brésilienne OAS, et a annoncé une consultation, ce qui n’a pas empêché à des centaines de natifs d’entreprendre une marche protestataire depuis Trinidad.

Marche des communautés andines

Pour rappel, le secteur minier bolivien représente la seconde activité économique du pays après l’exploitation des hydrocarbures. En 2011, les exportations dans ce domaine ont engendré près de 3 500 millions de dollars, soit un tiers des exportations totales du pays. Plusieurs analystes soulignent toutefois que les motivations entre les protestataires amazoniens et ceux de l’Altiplano sont différentes, les premiers avançant des raisons écologiques, les seconds réclamant l’exploitation de la mine à leur compte. Le ministre Virreira a affirmé que des représentants de Mallku Khota (Lago del Cóndor c’est-à-dire « Lac du condor » en aymara) avaient assuré au gouvernement que la majorité des communautés de la région ne soutenait pas la marche, ajoutant que la plupart des manifestants étaient des mineurs illégaux qui exploitent de façon artisanale la réserve convoitée par l’entreprise canadienne. Il a ainsi déclaré « cette marche a pour unique objectif de maintenir des privilèges (…) Pour l’exploitation illégale de l’or » avant d’ajouter « les véritables habitants de la région ont manifesté leur soutien à l’entreprise, ils souhaitent juste être consultés publiquement avant que ne débute la phase d’exploitation ». Ce contrat d’exploitation minière serait régi, selon des sources officielles, par la nouvelle loi minière qui stipule que les entreprises privées devront reverser la majeure partie des bénéfices à l’État. Depuis la fin 2010, les concessions minières sont déclarées « licences temporaires », une future loi devrait obliger à ce que les contrats deviennent des contrats d’association avec l’entreprise minière d’État Comibol.

Les indigènes amazoniens qui participent à la marche représentent une minorité des communautés natives des basses terres à la différence des communautés aymaras et quechuas des districts andins qui constituent le principal soutien politique de Morales.

Le mandataire appartenant à la communauté aymara défend le projet routier qu’il juge comme un élément indispensable à la croissance du département de Cochabamba et plus particulièrement de la région du Chapare, un bastion des cocaleros (les colons, dont beaucoup sont de langue quechua et d’autre de langue aymara s’adonnent principalement à la culture de la coca) qui l’a conduit au pouvoir.

(Aline Timbert)

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