Avec le soutien de 169 pays sur les 183 qui intègrent la Convention unique sur les stupéfiants de l’Organisation des Nations unies, la Bolivie est parvenue à ce que soit dépénalisée la pratique de la mastication ancestrale de la feuille de coca. Le président de la République Evo Morales a exprimé sa satisfaction et a tenu à rendre hommage à la lutte menée par les producteurs légaux de coca de La Paz et de Cochabamba.
« Ce ne sont pas 15 pays sous la coupe des États-Unis comme l’Angleterre, le Canada, Israël et autres [États-Unis, Royaume-Uni, Suède, Italie, Canada, France , Allemagne, Russie, Pays-Bas, Israël, Finlande, Portugal, Irlande, Japon et Mexique] qui ont fait objection. Mais ce sont 169 pays qui nous ont soutenus, cela témoigne de la grande reconnaissance de la communauté internationale envers notre identité, envers nos feuilles de coca et envers le pijcheo* correspondant », a déclaré le chef de l’État sud-américain lors d’une conférence de presse. Il a également précisé que la feuille de coca avait injustement été « pénalisée, diabolisée et criminalisée au niveau international », assimilant ainsi les consommateurs traditionnels de la feuille de coca à des drogués « narcodépendants » et les cultivateurs légaux à de vulgaires « narcotrafiquants ».
La résolution de l’ONU entrera en vigueur le 10 février prochain, il s’agissait d’une revendication menée haut et fort par le président de la République visant à légitimer la pratique ancestrale de l’acullico (mastication de la feuille de coca) sur le territoire national. Par conséquent, comme l’a souligné le porte-parole de l’ONU, Eduardo del Buey « le secrétaire général a accepté à la date du 11 janvier 2013 l’accession de la Bolivie avec cette réserve ».
La Bolivie avait, il y a environ un an, effectué une demande de réadmission à la Convention antidrogue de 1961 auprès des Nations Unies en émettant néanmoins des réserves sur le recours à la mastication traditionnelle de la feuille de coca. Le pays sud-américain a enfin été entendu et a obtenu largement le soutien nécessaire, plus d’un tiers des 183 Etats membres ne s’opposant pas à sa réintégration.
Jusqu’à présent, cette pratique millénaire était condamnée au niveau international en tant que consommation de stupéfiants. « Le 29 décembre 2011, le président de l’État plurinational de Bolivie, Evo Morales, avait adressé au Secrétariat général des Nations-Unies l’adhésion de la Bolivie à la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 à partir du 1er janvier 2012″, avait souligné l’agence d’État d’informations ABI mentionnant un communiqué officiel émis le 30 décembre 2011. La Convention (article 49) interdisait jusqu’ici la consommation de feuilles de coca du fait qu’elles contiennent des alcaloïdes, une substance qui sert de matières premières à l’élaboration de la cocaïne.
L’amendement de la Convention ne signifie pas que tous les pays légaliseront la feuille de coca sur leur territoire comme l’avait déjà souligné, il y a quelques mois, le Représentant permanent de la Bolivie auprès des Nations Unies, M. Pablo Solón précisant toutefois que « la Bolivie et d’autres pays andins seraient ainsi autorisés à préserver la tradition millénaire de la mastication de la feuille de coca, sans que leurs habitants soient considérés comme des délinquants au regard du droit international. »
L’usage de la feuille de coca n’a pas été légalisé au niveau international, a précisé aujourd’hui César Guedes, le représentant Bolivien du Bureau des Nations unies pour le contrôle des drogues et la prévention des délits, « Cela ne signifie pas la légalisation de la feuille de coca, elle figure toujours sur la liste des substances contrôlées. Vous ne pouvez pas quitter le territoire avec vos feuilles de coca et vous rendre dans d’autres pays parce que vous vous exposez aux normes du pays où vous voyagez ».
Les communautés andines revendiquent l’usage traditionnel de la feuille de coca pour ses vertus tonifiantes et nutritives, le président socialiste a même précisé que la très renommée université américaine de Harvard (portant ainsi à faux la décision des États-Unis de s’opposer à cet usage) avait reconnu ses propriétés médicinales « il est recommandé non seulement de mastiquer la feuille de coca, mais aussi de la manger parce qu’à elle possède de grandes valeurs nutritives », « certains diabétiques se soignent avec la feuille de coca. Certaines personnes du troisième âge consomment de la farine de coca même s’ils ne le reconnaissent pas publiquement », a déclaré Evo Morales. En Bolivie, la feuille de coca permet la production de maté, sucreries, pâtes dentifrices, liqueurs, sirops ou encore de gâteaux sans oublier le fameux Coca Colla, boisson gazeuse énergisante élaborée à partir de la fameuse feuille « sacrée » des Andes, et plus récemment un panettone de noël, à base de coca, a également été crée. Au-delà de ses vertus médicinales, les natifs dotent la feuille de coca d’usages mystiques, à titre d’exemple, parmi les offrandes faites à la terre nourricière, la Pachamama, on retrouve la coca, la feuille verte permet également d’entrer en contact avec les divinités et les esprits lors de cérémonies chamaniques.
Avec l’annonce de la dépénalisation de l’acullico, Evo Morales compte inscrire au calendrier « une fête de l’akulliku » qui rendra hommage aux producteurs de coca. C’est dans la région du Chapare que le président actuel Evo Morales (élu en 2006) a commencé la politique et qu’il a mené ses premiers combats syndicaux, il y a 20 ans, et c’est également dans cette région que la majorité de la coca est produite, en accord avec la loi 1008 (qui devrait être modifiée sous peu), qui légalise et réglemente sa culture depuis les années 80.
D’ailleurs, César Guedes a tenu à assurer que, bien que la réintégration de la Bolivie au traité de Vienne n’a pas fait l’unanimité, le gouvernement bolivien compte bien assumer ses pleines responsabilités de façon immédiate en présentant un rapport sur la consommation réelle de feuilles de coca sur le territoire. « La réintégration à la Convention induit une forme de pression pour la Bolivie qui n’a toujours pas publié de rapport sur le nombre de cultures de coca nécessaires pour répondre à la demande des consommateurs légaux ». Le vice-ministre rattaché à la défense sociale, Felipe Cáceres, a annoncé que ce rapport financé à hauteur de 1 million d’euros par l’Union européenne serait présenté au mois de mai. Il a également expliqué que ces résultats serviront à la mise en place de nouvelles politiques coercitives et efficaces dans la lutte contre le trafic de drogue. Cette étude devrait permettre d’établir le nombre d’hectares nécessaires à la culture de la coca en Bolivie tout en prenant compte de la loi 1008 qui prévoit une surface cultivable de 12 000 ha alors que pays compte actuellement une superficie de 21 000 ha. Une loi qui devra être modifiée et simplifiée, car elle est jugée trop compliquée avec ses 152 Articles.
Face aux analystes pessimistes de certains législateurs qui laissent entendre que la réadmission du pays à la Convention de Vienne, pourrait entraîner une augmentation des surfaces cultivables dédiées à la feuille de coca et, sous-entendu à la production illégale de cocaïne, le ministre des Affaires étrangères David Choquehuanca a souhaité se montrer rassurant et ferme à la fois en déclarant que la Bolivie comptait sur une stratégie de rationalisation des cultures et qu’elle menait une lutte sans merci contre le trafic de drogue, bien qu’il n’ait pas précisé les détails de cette stratégie.
« La Bolivie à une stratégie nationale (…) Elle donne des résultats et à ce titre elle est reconnue par les Nations unies, c’est pourquoi, quand certains prétendent que les plantations de feuilles de coca vont augmenter, c’est tout simplement qu’ils ne connaissent pas notre stratégie », a déclaré le ministre.
Le chef de l’État de Bolivie se maintient encore aujourd’hui comme leader symbolique du plus grand syndicat cocalero (cultivateurs légitimes de feuilles de coca) et est parvenu à des accords avec les cultivateurs légaux pour réduire l’excédent de production susceptible de servir à l’élaboration de cocaïne, une éradication des cultures qui s’est passée sans heurts, comme il a tenu à le souligner.
Selon le rapport de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (UNODC, United Nations Office on Drugs and Crime ) émis cet automne 2012, la Bolivie est, à ce jour, le troisième producteur de coca et de cocaïne au monde, en 2010 le Pérou présentait une superficie de culture de coca estimé à 61 200 ha, les chiffres de l’année 2011 n’ayant pas encore été révélés, le triste record étant détenu par la Colombie avec une augmentation des surfaces de culture de 3 % (64 000 ha en 2011).
L’UNODC avait toutefois salué la réduction de 12 % des cultures de coca (ce qui représente une surface actuelle d’environ 27 200 hectares ) sur le territoire bolivien en 2011. Comme avait tenu à le préciser Evo Morales au mois de mars 2012, à l’occasion de la 52e conférence de la commission des stupéfiants de l’ONU « mâcher des feuilles de coca est un « droit ancestral » des Boliviens (l’article 384 de la Constitution bolivienne établit que la feuille de coca doit être protégée comme coutume ancestrale et comme manifestation du patrimoine culturel, mais aussi comme facteur de cohésion sociale) ajoutant « Nous ne sommes pas dépendants de la drogue lorsque nous consommons la feuille de coca. La feuille de coca n’est pas la cocaïne, nous devons en finir avec cette confusion ».
Une distinction qui a finalement été entendue avec la réintégration de la Bolivie à la Convention de 1961 et la validation de cette pratique séculaire pour les natifs aymaras et quechuas. (http://www.unodc.org/pdf/convention_1961_fr.pdf).
*Terme quechua qui signifie « chiquer les feuilles de coca »
(Aline Timbert)
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