Pérou : L’état d’urgence environnementale est déclaré pour 90 jours dans le Loreto

Le gouvernement péruvien a décrété, lundi 25 mars, l’état d’urgence environnementale dans une région reculée d’Amazonie située dans le bassin du fleuve Pastaza, cette décision a été prise après une contamination aux métaux lourds. Une pollution qui menace l’écosystème, mais aussi la santé des populations natives évoluant près du fleuve, l’état d’alerte décrété par le ministère de l’Environnement perdurera durant 90 jours. Une contamination engendrée par les activités de la compagnie argentine Pluspetrol qui opère dans cette zone, à la frontière équatorienne, habitée par les populations Quichua et Ashuar qui vivent essentiellement de la cueillette et de la chasse. Les indigènes dénoncent depuis plusieurs années la pollution engendrée par les activités d’exploitation pétrolière ou encore gazière dans la province du Datem del Marañón, dans le département de Loreto, leurs revendications restent vaines devant les enjeux économiques.

Camisea
Camisea

Le bassin du Pastaza, dans les districts de Andoas et Pastaza, se trouve donc en état d’urgence environnementale en raison du risque significatif de contamination au plomb, à l’aluminium, ainsi qu’au baryum et au chrome. La mesure a été prise suite à des rapports techniques de l’Autorité de l’eau (ANA), de la OEFA et DIGESA comme l’a précisé le ministère de l’Environnement. La législatrice Marisol Pérez Tello, qui a voyagé sur place pour constater l’étendue des dégâts, a salué cette décision de l’Exécutif cependant l’a souligné qu’il fallait évaluer avec précision les niveaux de contamination des fleuves Tigre, Marañón et Corrientes.

« Les quatre bassins présentent la même contamination qui affecte la vie traditionnelle et la santé des communautés », a-t-elle déclaré.

Le ministre de l’environnement équatorien a, de son côté, signifié que cet état d’urgence pourrait être étendu à son pays si la contamination environnementale venait à être confirmée de l’autre côté de la frontière. L’état d’urgence environnementale permet de garantir un travail d’assainissement afin de limiter au maximum les dommages sur la zone affectée par la pollution des eaux et des sols, mais aussi de venir en aide aux populations concernées. Le fleuve Pastaza naît en Équateur à la confluence des fleuves Patate et Chambo, au pied du volcan Tungurahua situé dans la province éponyme, il s’étend sur 710 kilomètres dont 370 km traversent le territoire amazonien du département de Loreto au Pérou.

Pluspetrol exploite les réserves en pétrole dans la région depuis 2001

perou29032013-1Le Pérou a d’ores et déjà exigé que la compagnie argentine Pluspetrol remédie aux dégâts environnementaux survenus dans cette région amazonienne, il s’agit précisément du lot pétrolier 1-AB qui est exploité depuis 1971 (à l’origine par Occidental Petroleum, puis à partir de 2001 par Pluspetrol). A l’heure actuelle, il génère quasiment un quart de toute la production de brut dans le pays.

Le ministre de l’Environnement, Manuel Pulgar, a rendu publique la contamination des sols et des eaux du bassin de Pastaza en faisant mention « d’un sévère problème écologique ». Le porte-parole de Pluspetrol à Lima consulté en début de semaine a déclaré que la compagnie analysait la situation tout en restant assez allusive sur le sujet. Pluspetrol travaille dans le sud du Pérou, son plus grand chantier est un projet gazier qui s’appelle « Camisea ». Les natifs accusent régulièrement la compagnie de ne pas respecter ses engagements pris en matière de respect de l’environnement.

« Nous avons l’aval même du président de la République pour qu’il n’y ait plus aucune impunité dans ce type de cas, personne ne peut permettre à une entreprise d’assumer ses obligations avec autant de légèreté et une si grande irresponsabilité causant ainsi un sévère préjudice à la population », a affirmé le ministre. Le gouvernement n’a toutefois pas ordonné la suspension de la production du lot 1-AB de Pluspetrol qui génère environ 15 000 barils de pétrole par jour ! Actuellement, il n’y a pas d’estimation précise quant à la pollution engendrée par cette exploitation depuis maintenant 40 ans. Pour apaiser les tensions entre les communautés indigènes et les entreprises, le gouvernement du président Ollanta Humala s’est alloué les services de Pulgar Vidal, un avocat spécialiste des grands dossiers écologiques pour veiller à ce que les entreprises déployées sur le territoire national agissent dans le respect des normes environnementales.

« C’est l’épreuve du feu pour voir comment vont opérer les institutions environnementales. Ce lot est l’un des cas les plus emblématiques en ce qui concerne les dégâts en matière d’écologie au Pérou », a affirmé José de Echave, un ancien fonctionnaire rattaché aux causes environnementales qui travaille désormais au sein de l’ONG Cooperacción.

Indigène nahua © David Hill-Survival
Indigène nahua © David Hill-Survival

Pulgar Vidal a par ailleurs informé que l’organisme d’évaluation et de fiscalisation environnementale (OEFA) a sanctionné l’entreprise argentine d’une amende de 29 millions de soles soient 11,2 millions de dollars en janvier, mais l’affaire doit être portée devant les tribunaux suite aux réclamations de Pluspetrol.
« Le ministère de la Santé du Pérou a enregistré des niveaux inacceptables de plomb et de cadmium dans le sang des enfants Achuar il y a sept ans », a par ailleurs affirmé Andrew Miller, chef de file d’Amazon Watch au Pérou au Guardian.

Pluspetrol envisage d’étendre un projet gazier dans une réserve protégée

Décidément l’entreprise Pluspetrol fait particulièrement parler d’elle ces derniers temps puisque les Nations-Unies ont directement demandé aux autorités péruviennes de renoncer à l’expansion d’un gigantesque projet gazier en Amazonie, en raison des risques majeurs qu’il fait courir aux indigènes isolés qui résident dans la zone.

Dans un courrier dirigé au gouvernement du Pérou, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a réclamé sans détour la suspension immédiate « du projet d’expansion des champs gaziers de Camisea au cœur de la réserve Nahua-Nanti qui ‘menacent la survie physique et culturelle des peuples indigènes qui y vivent ».

Camisea, dirigé par un consortium de compagnies qui réunit Pluspetrol (argentine), Hunt Oil (nord-américaine) et Repsol (espagnole), est l’un des plus grands projets d’Amazonie. Il est envisagé au cœur même de la Réserve Nahua-Nanti instaurée pour protéger les territoires indigènes et garder intact leur mode de vie.

Les compagnies envisagent ici peu de réaliser des tests sismiques dans la selva– en ayant recours à des milliers d’explosifs mais aussi de forer plus d’une vingtaine de puits d’exploration. Outre l’impact sur l’habitat naturel de ces populations natives, beaucoup craignent, à juste titre, l’impact même sur la santé de ces groupes isolés qui ne bénéficient pas de défenses immunitaires contre les maladies véhiculées par les ‘étrangers’.

Stephen Corry, directeur de Survival International, ONG de défense des droits des peuples indigènes a déclaré le 25 mars : « Le gouvernement péruvien s’est engagé auprès de la Banque interaméricaine de développement à ne pas étendre le projet Camisea et a même décidé par un décret suprême que cet engagement serait inscrit dans la législation. Il agit aujourd’hui en totale contradiction avec ses promesses. Il ne faisait aucun doute que les Nations-Unies demanderaient la suspension de ce redoutable projet ». Il est important de souligner que la réserve Nahua Nanti fonctionne comme une « zone tampon » pour un autre lieu emblématique de la région amazonienne, le parc national de Manu.

Tribus isolées de Manu ©Survival
Tribus isolées de Manu ©Survival

La réserve « Kugapakori, Nahua Nanti » a été crée dans le sud du Pérou en 1990, elle est destinée aux peuples qui souhaitent rester en isolement volontaire de la société nationale en accord avec la convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) concernant les peuples indigènes et tribaux, souscrite en 1989 à Genève.

Bonne nouvelle cependant, le géant gazier argentin Pluspetrol a publiquement renoncé à l’expansion du projet gazier Camisea, au sud-est du Pérou, dans l’une des régions les plus riches en biodiversité de la planète, après le tollé médiatique suscité par le quotidien britannique The Guardian et Survival International.

Des rumeurs laissaient clairement entendre que Pluspetrol avait sollicité un rapport à l’agence environnementale Quartz Services SA, qui faisait part de sa volonté « de poursuivre ses activités dans le bloc 88, mais aussi de les étendre dans la zone protégée du parc national du Manu ».

Stephen Corry, directeur de Survival, s’est exprimé le 15 février 2013 : « Il s’agit d’un succès retentissant pour les Indiens du parc national du Manu et leurs sympathisants du monde entier. Suite à la pression médiatique, une compagnie qui avait ouvertement planifié l’exploration gazière dans le parc a catégoriquement annoncé qu’elle y renonçait. Il est maintenant temps de concentrer notre attention sur la réserve Nahua-Nanti où l’exploration gazière se poursuit. Elle devrait également être soumise aux mêmes restrictions que le parc national du Manu ».

Situé dans les forêts pluvieuses des départements de Cusco et de Madre de Dios, le Parc National du Manu constitue le plus grand trésor naturel du Pérou, en raison du nombre d’espèces qui s’y trouvent, ainsi que par la grande diversité d’écosystèmes qu’il renferme.
Ce paradis naturel est reconnu officiellement par l’UNESCO comme un site du patrimoine de l’humanité. En 1977, ils ont désigné Manu comme une Réserve de la Biosphère Mondiale parce qu’il offre le meilleur exemple de biodiversité dans les régions protégées de la forêt tropicale, il bénéficie également d’un fort endémisme végétal et animal.

Un équilibre écologique menacé par une manne économique (exploitation pétrolière et gazière) toujours pressante dans ce pays d’Amérique du Sud qui doit concilier croissance et développement avec le respect des droits autochtones en accord avec l’incontournable Convention 169 de L’OIT, et préservation du patrimoine naturel. Un trésor écologique qui fascine la communauté internationale qui le défend bec et ongles !

(Aline Timbert)

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