Pérou : Les sécheresses répétées en Amazonie inquiètent la communauté scientifique

La fréquence des événements extrêmes dans le bassin amazonien, tels que des crues ou des épisodes de sécheresse, se sont intensifiés dans les années 90, selon un rapport élaboré par l’Institut de Géophysique du Pérou en coopération avec les institutions étrangères. Jahn Carlo Espinoza, responsable de l’étude sur la Zone de Variabilité et du Changement Climatique menée par l’IPG, a expliqué que les sécheresses les plus importantes de ces 40 dernières années ont eu lieu en 1995, 1998, 2005, et enfin la dernière en date, et pas la moindre, celle de l’année 2010. Aujourd’hui, les scientifiques tentent de trouver des explications à ces phénomènes répétés.

Jahn Carlo Espinoza a signalé qu’en 1998 cette sécheresse a coïncidé avec la présence du phénomène météorologique El Niño même si les conséquences liées à son action n’ont pas été aussi importantes dans le reste du monde. Il remarque également que les eaux de l’Océan Atlantique tropical (nord du Brésil, et Venezuela) étaient particulièrement chaudes à cette période. Grâce à cette étude l’on apprend également que les plus grandes crues du fleuve Amazone, de ces 100 dernières années, ont eu lieu en 2006 et en 2009. On constate également que depuis 1970 il y a une diminution des pluies dans le bassin amazonien de l’ordre de 10 % d’une façon générale, mais dans des zones situées dans le nord-ouest du bassin (Pérou, Équateur et Colombie) il y a eu une augmentation des précipitations.
« Les grandes crues et sécheresses pourraient être plus fréquentes dans les prochaines années. Il y a une hypothèse qui veut que ces désordres soient liés aux changements climatiques mais des études précises doivent être réalisées afin d’établir un éventuel lien de cause à effet » a déclaré l’agence de presse Andina.
Les scientifiques soulignent que les événements extrêmes affectent la dynamique de la forêt tropicale « il faut tenir en compte que le bassin amazonien est l’un des plus grands au monde, ce qui l’affecte peut affecter le climat global ». L’étude sur les conséquences de la Variabilité Climatique sur l’Hydrologie du bassin amazonien a été analysée sur une superficie qui comprenait sept pays d’Amérique du Sud. Pour la première fois, ce sont les données de 756 stations pluviométriques réparties sur cinq pays amazoniens qui ont été relevés pour collecter les informations sur la période suivante 1963-2003. De même, 13 stations hygrométriques qui contrôlent les principaux bassins secondaires ont été utilisées pour décrire la variabilité hydrologique régionale en s’intéressant particulièrement aux phénomènes hydrologiques extrêmes sur une période allant de 1974 à 2004.
Cette étude a été réalisée avec la collaboration de scientifiques français du Service National de Météorologie et d’Hydrologie qui ont accompagné les scientifiques de l’IPG et avec lesquels ils ont partagé leur expérience.

Le río Negro en octobre 2010

Pour rappel, il y a quelques mois, une grande partie de la forêt amazonienne se trouvait confrontée à l’une des plus sévères sécheresses de son histoire (voir article précédent). Les niveaux des fleuves connaissaient des records historiques et les conséquences sur la vie sylvestre s’avéraient désastreuses. La sécheresse qui a frappé, l’été dernier, une grande partie du bassin amazonien entre juillet et septembre 2010 a laissé un impact visible sur la végétation.

Des observateurs de la NASA ont signalé en mars 2011 « que l’aspect verdoyant de la végétation, indicateur de bonne santé de la forêt, a diminué, l’équivalent de trois fois et demie la superficie du Texas » a expliqué Liang Xu, chercheur à l’université américaine de Boston. Au moyen d’images satellitaires, les scientifiques ont noté une réduction notable de la verdure sur une surface estimée à 2,5 millions de kilomètres carrés, ce qui signifie que la zone affectée par le manque d’eau en 2010 a été quatre fois supérieure en superficie à celle touchée par la sécheresse de 2005.

La sécheresse de 2010 a profondément affecté les principaux fleuves du bassin amazonien parmi lesquels le Río Negro. Les niveaux des fleuves avaient particulièrement baissé en août 2010, et les premiers signes de récupération n’étaient pas apparus avant la fin du mois d’octobre 2010 avec la tombée des premières pluies. « L’année passée fut la plus sèche dans la région depuis que des relevés existent, le Río Negro, n’avait pas été aussi bas depuis 109 ans, et plus particulièrement au port de Manao », a affirmé le scientifique brésilien de l’université fédérale de Viçosa, Marco Costa.

Selon les modèles climatiques en vigueur, les sécheresses devraient être de plus en plus fréquentes en raison de la croissante émission de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Si la tendance ne s’inverse pas, les forêts tropicales de l’Amazonie pourraient ne plus assurer leur rôle d’absorbeur de gaz carbonique. D’après les estimations émises par des spécialistes, la forêt d’Amazonie n’absorbera plus les 1500 millions de tonnes annuelles de dioxyde de carbone (CO2) rejetés dans l’atmosphère (moyenne établie pour 2010 et 2011), mais au contraire elle rejettera environ 5000 millions de tonnes additionnelles (combustibles fossiles) une fois les arbres détruits par le manque d’eau.
« Nous ne savons pas avec exactitude combien d’arbres sont morts avec cette sécheresse », a déclaré le scientifique tout en sachant qu’ à ce facteur météorologique s’ajoutent également les feux de forêt qui peuvent affecter de larges surfaces boisées. La forêt amazonienne absorbe environ chaque année 1500 millions de tonnes de CO2. Grâce à son effet « filtrant », la forêt que l’on qualifie de « poumons de la Terre », contribue à limiter les effets du changement climatique.

Dauphin rose d'Amazonie

Petite note positive, malgré la sécheresse 2010, la population de dauphins roses particulièrement affectés par la décrue du fleuve (la moitié des individus était décédée durant cet épisode météorologique extrême) commencent à repeupler les eaux de l’Amazone (río Samiria). Les dauphins roses, selon une étude réalisée en 2011, ont vu leur nombre d’individus augmentés de 10 % par rapport à la même période l’année passée (avant l’épisode de sécheresse). Le nombre de dauphins gris est également en augmentation, +30 % par rapport au mois de mars 2010.

« C’est un signe très positif, cela signifie que le fleuve río Samiria récupère progressivement de la sécheresse 2010 » a déclaré Richard Bodmer de l’université du Kent, auteur de différents travaux sur cette zone qu’il étudie maintenant depuis 25 ans.
Cette étude a été réalisée dans la réserve nationale Pacaya Samiria (au Pérou), dans la partie supérieure du fleuve Amazone, une zone qui couvre plus de 20 000 km². Le docteur Richard Bodmer et son équipe de chercheurs péruviens, appuyée par des volontaires de l’organisation pour la conservation Earthwatch, ont analysé les effets de ces phénomènes météorologiques extrêmes sur la population de dauphins roses et sur d’autres espèces vivant dans la forêt.
La communauté scientifique reste inquiète car les populations de poissons n’ont pas augmenté depuis le début de l’année 2011. Mais il existe malgré tout des signes encourageants de reprise sur d’autres espèces.

Enfin, n’oublions pas qu’au-delà de l’impact environnemental pur, il existe aussi un important facteur humain, en effet les populations indigènes évoluant au bord du fleuve sont les premières touchées par ces aléas climatiques (un manque de nourriture dû à la diminution poissonneuse, la destruction de leur habitat naturel, ou encore l’impossibilité de se déplacer via les voies navigables…). Il semblerait que la nature dispose d’un potentiel de ‘récupération’ lorsque l’on voit à nouveau les magnifiques dauphins roses nager en eaux troubles mais une question se pose… Jusqu’à quel point ?

« Vivre deux sécheresses de cette envergure de façon aussi rapprochée [2005 et 2010] est extrêmement rare mais correspond malheureusement aux modèles climatiques pour l’Amazonie qui montrent un avenir sombre pour cette région», a déclaré Simon Lewis, un climatologue de l’Université de Leeds en Grande-Bretagne…

Images satellites révélées par la NASA sur l’impact de la sécheresse 2010 sur l’Amazonie (mars 2011) :

(vidéo archive : sécheresse 2010)

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