Pérou : Le Machu Picchu et José Maria Arguedas, deux symboles pour un pays multifacette

L’activiste écologique du mouvement politique Patria Verde, Rodolfo Rojas Villanueva, a obtenu un signe encourageant de la part du nouveau président élu du Pérou, Ollanta Humala, afin qu’il convienne d’ajouter à l’actuelle dénomination « Année du centenaire du Machu Picchu pour le Monde » un hommage au poète et écrivain péruvien dont c’est le centenaire de la naissance, José María Arguedas, en ajoutant « et Naissance de José María Arguedas Altamirano ».

Le leader écologique, originaire de la région de Pasco, avait mis un point d’honneur à ce que l’année du Machu Picchu ne se limite pas à célébrer la « redécouverte » du célèbre site archéologique inca par le scientifique et universitaire d’origine nord-américaine Hiram Bingham (le 24 juillet 1911), mais bien à ce que cet anniversaire, fortement médiatisé à travers le monde, soit une occasion de mettre en avant un patrimoine culturel péruvien d’une grande rareté et diversité.

Rodolfo Rojas Villanueva

Dans cette optique, Rodolfo Rojas Villanueva, désireux de revendiquer une identité péruvienne propre, avait fait la demande au précédent gouvernement de Alan Garcia de ne pas focaliser l’attention sur la découverte effectuée par l’archéologue américain, sachant que la cité fut avant tout un puissant symbole de la magnificence de la culture inca ( dont l’existence était connue par de nombreuses populations indigènes), mais aussi de saluer la mémoire de l’écrivain et ethnologue José María Arguedas.
En effet, ce dernier mort suicidé en 1969 avait su dans ses ouvrages revendiquer une identité andine empreinte d’un patrimoine culturel et religieux faisant référence au réalisme- magique, à la cosmogonie, et aux traditions d’un Pérou riche de son Histoire (racines) marquée par les cultures préhispaniques, puis par le colonialisme et enfin par un métissage et un syncrétisme fructueux qui fait aujourd’hui la richesse et la singularité de ce pays.

Au mois de mai, le représentant du parti vert avait envoyé une lettre au candidat de gauche nationaliste Ollanta Humala (le 31 mai) afin que ce dernier, s’il venait à être élu président de la république au second tour des élections, accepte de rendre hommage officiellement à cet emblème de la littérature péruvienne. Ce processus semble en cours puisque le président songe à requalifier le centenaire « Année du centenaire du Machu Picchu pour le monde et naissance de José María Arguedas Altamirano » et a répondu favorablement à la requête qui lui a été adressée. Certaines régions du Pérou, et la municipalité de Lima rendent déjà cet hommage, à l’écrivain et poète mais Villanueva aimerait que cette appellation soit rendue effective au niveau national et international et qu’elle apparaisse sur tous les documents officiels.

A titre d’exemple, en début d’année, le journal péruvien « La Republica » (26/01/2011) avait intitulé un article « Hiram Bingham fait polémique à Cuzco » en soulignant que la cité avait été officiellement redécouverte en 1902 par une famille de paysans andins Lizárraga et que la population locale regrettait de fait que ce centenaire se focalise sur la découverte de l’américain.Par ailleurs, beaucoup voyaient en cette focalisation sur le Machu Picchu révélé par l’universitaire Bingham un moyen politique de président Garcia d’insister sur le fait qu’il était parvenu à ce que les pièces, substitués par l’explorateur sur le site archéologique au cours de son expédition, soient enfin restituées en 2011, après moult tractations, par l’université de Yale (voir article précédent) .

Villanueva n’avait pas hésité à déclarer « tous les péruviens qui viennent à Lima dans l’espoir de trouver des meilleures conditions de vie s’identifient avec notre cher José María Arguedas. C’est pourquoi je manifeste l’engouement de millions de Péruviens qui espèrent que cette année 2011 rendra hommage à Arguedas”.

Rojas Villanueva, avait préalablement émis cette demande en juin 2010, en prévision des festivités, au Gouvernement Central, au Ministère de la culture, (dont le ministre était Juan Ossio) au Congrès de la république et à d’autres autorités, son message était resté jusqu’alors lettre morte.

José Maria Arguedas

Il est vrai que l’arrivée au pouvoir d’un président d’origine indigène donne une nouvelle configuration, et peut-on dire, un nouvel espoir à l’importance qui pourra être donnée dans les mois et les années à venir aux natifs qui constituent l’essence même du pays et qui sont, encore aujourd’hui, injustement victimes de pratiques discriminatoires et marginalisées en raison de leur couleur de peau, de leurs coutumes à connotation « folklorique » ou encore de leur pauvreté. La culture indigène et le « mestizaje » constituent un pur témoignage d’une survivance intellectuelle et spirituelle, et d’une forme de résistance à l’acculturation mise en place dès le XVIe siècle lorsque le pays se trouvait sous le joug de la colonisation espagnole. Ce sont à ses racines que l’auteur Arguedas se référait dans l’une de ses œuvres majeures publiées en 1958, et symboliquement intitulé « Les Fleuves profonds » (titre original : Los ríos profundos).
Certes, une allusion à la géographie particulière des Andes, et plus particulièrement à la vallée de l’Urubamba, mais surtout une référence aux origines, à ce qui fait l’identité d’un pays. Arguedas a lancé les débuts du courant qualifié de néo-indigéniste, à savoir une mise en valeur de la culture indigène et une réhabilitation de la voix de l’Indien ou du moins du « mestizo », il faut rappeler que l’auteur était lui-même un métis (mestizo avec le sens qu’à ce mot en Amérique latine), à savoir que son père était blanc (criollo) et que sa mère était indienne (indigena) né dans la région essentiellement rurale de l’Apurimac, et qu’il connaissait à ce titre le quotidien de ces populations dédaignées.

En accordant une place de premier rang à l’écrivain, le gouvernement actuel réhabiliterait l’une des figures de proue de la littérature latino-américaine du XXe siècle, promotrice d’un métissage porteur d’espoir qui s’oppose à une vision limitée du Pérou favorable aux élites blanches et à un milieu urbain d’où émergent des oligarchies.

Dans l’expectative de cette reconnaissance tant attendue, le politique Rodolfo Rojas Villanueva, a également dévoilé à son tour ses qualités d’artiste en publiant des calligrammes (un calligramme est un poème dont la disposition graphique sur la page forme un dessin, cela permet d’allier l’imagination visuelle à celle portée par les mots) qui rendent hommage à la cité perdue des Andes, ils revêtent, à ce titre, la forme du Machu Picchu.
Des poésies qui ont reçu un accueil favorable et qui témoignent encore une fois de cette volonté de ne pas laisser échapper un patrimoine national d’une grande richesse entre les seules mains « de marchands de tourisme » et de politiques à la mémoire sélective qui reconnaissent parfois plus facilement les mérites d’aventuriers venus de l’étranger pour s’approprier les témoignages d’un passé fastueux, plutôt que de rendre hommage à des symboles d’une lutte identitaire qui se manifeste depuis des années.

Dans son poème dédié au sanctuaire inca « Machu Picchu encima del Mundo » on peut lire les vers suivants Machu Picchu / alma y espíritu planetario / ciudad estelar de los Incas/arquitectura inacabable (…) De tÍ nacieron la papa y el maíz / para salvar el hambre a Europa / Hoy, nuevamente de ti nace / la esperanza para el hombre. (Machu Picchu /âme et esprit planétaire/cité stellaire des Incas/Architecture de l’infini (…) / En ton sein sont nés la pomme de terre et le maïs/pour sauver l’Europe de la famine/ Aujourd’hui  naît de nouveau grâce à toi / l’espoir de l’homme).

Dans un autre calligramme destiné à l’horloge solaire « Intiwatana », Villanueva livre les vers suivants : Intiwatana / en esta mañana larga y callada / no podré negar el sacrificio de tus horas / no podré negar el sudor metálico de tu minutero / no podré negar tu pequeño segundo que rompió / muchos siglos del silencio andino (Intiwatana /En cette journée longue et silencieuse / je ne pourrai pas nier le sacrifice de tes heures / Je ne pourrai pas nier la sueur métallique de tes aiguilles/ je ne pourrai pas nier cette seconde qui interrompt /de nombreux siècles du silence andin).

Sur ce besoin d’écriture, il a confié « Depuis Cerro de Pasco [dont il est originaire], j’ai souhaité rendre hommage avec ces calligrammes à notre Machu Picchu, reconnu et vénéré par le monde entier ».

Machu Picchu, ce site majestueux n’attire pas moins de 2500 visiteurs par jour, faut-il à ce titre louer le courage de l’explorateur qui, par son audace, a révélé l’existence de ce bijou archéologique au monde, ou le génie créatif du peuple inca qui a su percher cette fameuse cité dans un lieu reculé, à l’abri des conquérants ? Probablement l’un et l’autre…

Un choix que pourrait finalement assumer le gouvernement péruvien en mettant en corrélation l’apport venu de l’extérieur (les recherches d’Hiram Bingham, universitaire émérite à Yale, ont été sans aucun doute fondamentales pour les scientifiques et tous les passionnés de civilisations anciennes en général) et un symbole de cette identité péruvienne « De todas las sangres » (en la personne d’Arguedas) au cœur des festivités de cette année 2011 qui touche à sa fin !

(Article rédigé par Aline Timbert)

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