Carnet de route au Pérou : La mémoire de Mariano

(Satipo, Pérou) Certaines histoires ne doivent pas être oubliées. Parmi elles, celle du père franciscain Mariano Gagnon dont l’amour pour le peuple autochtone ashaninka l’a conduit à livrer une bataille sans merci contre les terroristes du Sentier Lumineux dans la jungle péruvienne dans les années 1980.

À Satipo, ville cafetière dans la région de Junin, l’homme de foi né au New Hampshire d’origines canadienne-française et métisse est devenu une légende locale. Ici, presque tous connaissent les grandes lignes de son récit « Les guerriers du paradis », odyssée qui culmine en 1990 avec le sauvetage par avion de quelques 300 autochtones cernés par les militants du Sentier Lumineux, organisation maoïste qui a semé la terreur pendant deux décennies au Pérou.

Rejoint chez lui où il héberge malades et étudiants, le père Mariano pressent un péril tout aussi menaçant pour les indigènes de l’Amazonie: celui de la disparition. « Les pires ennemis des autochtones ne sont plus les terroristes et les narcotrafiquants, mais les grandes entreprises forestières et pétrolières qui se sont installées partout dans la région.»

Un cadeau empoisonné

Le père franciscain Mariano Gagnon

Depuis les 20 dernières années, le gouvernement de ce pays andin a accordé de vastes concessions à des compagnies nationales et étrangères pour qu’elles exploitent ses ressources naturelles, principalement du bois et du gaz naturel. Officiellement, les compagnies doivent obtenir l’accord des communautés autochtones si la matière première se trouve sur leur territoire. « Pour dédommager les dégâts qu’elles causent, les compagnies leur donnent de grosses sommes d’argent. Mais si personne ne leur a appris à s’en servir, cela revient à leur offrir un cadeau empoisonné qui les corrompt peu à peu », tonne-t-il. « Une petite élite claque l’argent en bières et en femmes pendant que les autres vivent dans la misère! En fait, je crois que les grandes compagnies n’en ont rien à battre des indigènes. Si rien n’est fait, ils disparaîtront dans quelques années. »

De son franc-parler proverbial, s’exprimant tantôt en anglais, mais surtout en espagnol, ponctuant ses interventions de quelques remarques en français, le père Mariano reconnaît que l’établissement de missions religieuses dans la région a perturbé de manière importante le mode de vie de ces premières nations. « Auparavant, ils vivaient de façon très indépendante où chaque famille pouvait chasser et pêcher à sa guise. Le jour où les missionnaires les ont réunis en communauté autour d’une école, cela a créé des problèmes d’approvisionnement, de chasse, de conditions d’hygiène et relations sociales. Nous avons commis plusieurs erreurs, c’est vrai. Cependant, il reste délicat de juger des actes du passé sous la loupe d’aujourd’hui. Aussi, la mentalité des missionnaires a évolué. Nous n’obligeons personne à se convertir. »

Pour le franciscain, qui, enfant, souffrait d’être ce « maudit métisse », l’éducation des jeunes générations reste la seule issue pour les peuples de l’Amazonie. « La réponse doit venir d’eux avec un système d’éducation qui leur est propre. Leur mémoire est surprenante. Les enfants apprennent de leurs parents en les observant, sans qu’aucun échange de parole ne soit nécessaire. Ils sont plus talentueux qu’on se l’imagine.»

L’appel de la mission

Pour le père franciscain, né Joseph Théodore Gagnon, tout a débuté à New York au lendemain de la Seconde Guerre mondiale lorsqu’un évêque donne une conférence sur le peuple ashaninka. « Le vers m’a piqué. Faut dire que mes origines métisses m’ont permis d’être sensible à la question des autochtones d’Amérique. »

Afin de gagner l’argent de son voyage jusqu’à Lima, le jeune Joseph travaillera pendant trois ans dans une manufacture de chaussures du New Hampshire le jour et dans un restaurant le soir. En 1948, son premier contact avec son pays d’adoption a été horrible. « Les premiers jours, je n’arrivais pas à manger quoi que ce soit, à part des bananes et des oranges. La nuit, les poux se faisaient un régal de mon sang. » Après une semaine, un prêtre américain l’a reçu à souper chez lui. Il lui a servi un bifteck avec des pommes de terre frites. Il l’a regardé dévorer le plat d’un air amusé, puis il lui a déclaré : « Stupide enfant de pute, tu n’y arriveras jamais! » Joseph est piqué au vif. « Par orgueil, j’ai voulu lui prouver que j’étais capable de demeurer ici. C’est la phrase qui m’a sauvé. »

Avant de pouvoir s’aventurer dans l’Amazonie péruvienne, le jeune séminariste étudie pendant huit ans dans la sierra. Ordonné prêtre en 1957, Mariano est envoyé à la mission de Flor de Punga, sur le bas Ucayali où il œuvre pendant trois ans auprès de la nation Cocama, puis à celle de Santa Elena sur le rio Tapishi jusqu’à l’établissement d’une mission sur le fleuve Cutivireni en 1969. À l’époque, la destruction de la jungle par les colons quechuas devenait un enjeu important pour la survie des peuples natifs. « Lorsque nous avons fondé notre mission sur le fleuve Cutivireni en 1969, l’endroit me paraissait un refuge idéal pour les Ashaninkas de la région qui souhaitaient se préparer à la vie moderne. Je m’étais royalement trompé. Aujourd’hui, toute la zone est en proie aux colons venant des Andes qui s’installent et forcent les indigènes à se replier toujours plus loin dans la jungle. »

La colonisation de cette portion de l’Amazonie péruvienne s’est initiée surtout au cours du premier gouvernement du président Belaunde (années 1960). « À l’époque, je l’ai rencontré pour protester contre un bombardement qu’il aurait ordonné sur un campement d’autochtones accusés d’avoir tué des forestiers. Il m’a alors répondu que ces Indiens ne valaient pas plus que le bois sur lequel ils vivaient. »

Survivre, toujours survivre

La mission de Cutivireni a écoulé quelques années de tranquillité avant l’avenue du Sentier Lumineux dans la région. « En 1983, ils nous ont demandé des munitions, des vivres et des médicaments. J’ai refusé. L’année suivante, ils sont revenus pour brûler la mission pendant mon absence.»

Jusqu’en 1990, année du sauvetage des 300 autochtones, la survie de la mission sera une longue lutte acharnée contre les terroristes. « Oui, j’avais peur, mais ce n’était pas le moment de quitter ces gens quand ils avaient le plus besoin de moi. » Par la suite, ils s’installent à Tangoshiari sur le fleuve Urubamba. Le père Mariano se retire de la vie de missionnaire en 2006, sans jamais pour autant abandonner la cause des autochtones. Les forces contre-insurrectionnelles vont occuper quelques années la mission de Cutivireni. Ironie du sort, le lieu qui était devenu une sorte de symbole pour la survie du peuple Ashaninka sert aujourd’hui de base aux narcoterroristes qui pullulent dans la zone de la vallée de l’Ene et de l’Apurimac (VRAE).

Si le dernier gouvernement d’Alan Garcia s’est avéré très intransigeant envers les peuples indigènes, (le sanglant épisode de Bagua en 2007), le père Mariano espère que le nouveau président Ollanta Humala sera se montrer plus sensible quant à la question. « Heureusement, les natifs prennent de plus en plus conscience de leur caractère unique. Ce fût un impact positif de nombreuses ONG. Mais pour se développer, ils doivent à tout prix échapper à la logique de la dépendance comme c’est le cas aux États-Unis. Être un autochtone, ça ne veut pas dire se donner en spectacle devant les touristes pour quêter un pourboire. »

David Riendeau

Un commentaire

  1. Sans parenté aucune acec Mariano, j’ai eu le bonheur de le côtoyer alors que j’étais pésident des Ailes de l’Espérance, une ONG qui pratiquait dans son coin. Homme admirable comme il n’y en a pas.

    Il a orchestré pour nous un projet d’eau potable, ainsi que la construction d’un école de 4 classes. à la mission de Tangoshiari.

    Un saint homme que je salue bien bas.

    Claude Gagnon, Lachute, Québec

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