Le ministre de la Justice colombien, Juan Carlos Esguerra, a suspendu mardi 6 mars l’autorisation dont disposait la présidente de Colombianos y Colombianas por la Paz (CCP), l’ancienne sénatrice Piedad Córdoba, pour rendre visite aux guérilleros des FARC aujourd’hui emprisonnés.
Dans une lettre dirigée à Piedad Córdoba, le ministre a expliqué que l’autorisation dont elle avait bénéficié, au mois de février, afin de rendre visite aux détenus s’inscrivait dans un cadre « humanitaire » et non dans une perspective de « négociations préalables » visant à mettre en marche le processus de paix. Ce dernier a également critiqué Piedad Córdoba qui a justifié ses visites en invoquant des motifs liés « à des prisonniers politiques, de guerre, d’opinion » sachant que pour le politique « ce type de détenus n’existent pas en Colombie », précisant que la Commission des femmes (intégrée entre autres par Rigoberta Menchú ainsi que les femmes de lettres Elena Poniatowska et Isabel Allende) avait pour but « de parlementer » alors que cette médiation n’était pas autorisée pour le moment par le gouvernement.
Le ministre a expliqué qu’il était de fait « impossible » de maintenir la validité du permis de visite : « de telles déclarations changent complètement le sens des premières revendications ». Jusqu’alors Córdoba a toujours interféré lors des processus de libération des otages menés par les FARC, participant aux opérations auprès de la Croix-Rouge internationale et en certaines occasions, avec l’appui de l’Église catholique et du voisin brésilien. La guérilla a annoncé le 26 février la libération prochaine de 10 militaires et policiers Luis Alfonso Beltrán, Luis Arturo Arcia, Robinson Salcedo, Luis Alfredo Moreno mais aussi Carlos José Duarte, César Augusto Lasso, Jorge Trujillo Solarte, Jorge Humberto Romero, José Libardo Forero et Wilson Rojas ; sachant que certains d’entre-eux sont retenus captifs depuis 12 ans.
Pour rappel, les forces armées révolutionnaires de Colombie ont annoncé dimanche 26 février, par la voix de son chef suprême Rodrigo Londoño Echeverry dit ‘Timochenko’ qu’elles renonçaient à enlever des civils et qu’elles étaient disposées à rendre la liberté aux 10 otages issus des forces de l’ordre qu’elles détiennent encore. Cette annonce avait été faite par le Secrétariat de l’état-major central du groupe rebelle et divulguée sur leur page Internet.
« Nous croyons qu’il vaut la peine d’essayer de briser ce cycle maudit et de miser sur la réconciliation et la paix », a déclaré Timochenko dans sa lettre. « Il est regrettable que tous les jours, au cours de ce long combat, l’on déverse le sang des Colombiens les plus humbles. Aucun militaire ou policier ne devrait mourir. Les guérilleros ne doivent plus mourir également. Il aurait peut-être mieux valu que ni l’un ni l’autre n’existent », a-t-il ajouté.
« Nous annonçons aussi qu’à partir d’aujourd’hui nous réfutons ces pratiques dans le cadre de notre action révolutionnaire », ont informé les FARC, faisant référence aux enlèvements, tout en expliquant que la décision les obligeait à abroger la loi rebelle de l’an 2000 relatif au financement du mouvement au moyen de l’extorsion de fonds. Le président de Colombie, Juan Manuel Santos, a aussitôt affirmé qu’il considérait « comme insuffisant », la décision de la guérilla « nous valorisons la décision des FARC de renoncer aux enlèvements, il s’agit d’un pas important et de nécessaire; toutefois il est insuffisant » a-t-il déclaré sur son compte Twitter après avoir pris acte de la décision du groupe rebelle.
La fin du recours à la séquestration comme arme politique était l’une des principales requêtes du collectif Colombianas y Colombianos por la Paz (CCP), menée par Piedad Córdoba, une demande maintes fois réitérée par la principale intéressée. Córdoba et le groupe civil CCP maintiennent depuis trois ans un échange épistolaire avec les principaux acteurs du conflit armé. Le renoncement aux enlèvements était également l’une des principales revendications du président de la République colombien, une condition sine qua non à l’instauration du dialogue avec la guérilla armée. Parmi les autres conditions non négociables émises par le chef de l’État, l’on peut mentionner la fin de l’enrôlement des mineurs de moins de 18 ans, le rejet pur et simple de toute activité liée au trafic de drogue et enfin l’arrêt des actes terroristes.
Les 10 otages prêts à être libérés « au cours de différentes étapes » d’ici la fin du mois, selon l’ex-sénatrice, sont les derniers captifs militaires retenus par les FARC. Les guérilleros se sont montrés favorables à la proposition de la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, qui a souhaité mettre à disposition des moyens logistiques pour la mission humanitaire de « récupération » des otages. Ces derniers ont tous été séquestrés entre 1998 et 1999, lors de la montée en puissance de la guérilla révolutionnaire. Ce n’est pas la première fois que les FARC annoncent vouloir renoncer aux enlèvements. En effet, en mars 1984, elles avaient signé les « Accords de l’Uribe » avec le gouvernement du président Belisario Betancur en ce sens sans jamais respecter cette trêve.
« Si le conflit persiste, les FARC chercheront toujours des moyens de financement », a averti Córdoba. En 2008, 20 otages avaient été libérés dont 14 prisonniers lors de l’opération militaire Jaque, parmi lesquels l’otage franco-colombienne Ingrid Betancourt et trois otages américains. Il s’agit du mouvement guérillero le plus important du pays (il est suivi de L’Armée de libération nationale ou ELN), et mène depuis 47 ans une lutte armée violente contre l’État colombien (les effectifs des FARC ont été divisés par deux en dix ans).
Le 4 mars, le vice-président de Colombie, Angelino Garzón, avait invité les FARC à cesser d’utiliser « le dialogue » comme « une stratégie de guerre » pour gagner du temps: « nous n’allons pas dialoguer avec la guérilla si elle continue d’utiliser le dialogue comme une stratégie de guerre, ce qu’elle a toujours fait », a-t-il déclaré lors de sa présence à Madrid lors d’un déjeuner organisé dans le cadre du Forum européen. « Si il y a un dialogue qui est finalement instauré il faut que nous soyons sûrs qu’ils aient totalement abandonné la violence », et pour cela il faut que l’État « possède le monopole de l’usage des armes » a-t-il précisé. Il a tenu à souligner que la Colombie faisait de nombreuses avancées dans la lutte militaire, judiciaire et politique menée contre les organisations armées illégales (guérilla, crime organisé, trafic de drogue, et délinquance).
« Nous ne sommes pas obsédés par une victoire militaire contre les FARC. S’il y a moyen de trouver une solution politique, nous le ferons », a-t-il déclaré tout en précisant que le gouvernement avait des exigences pour entamer des négociations.
Garzón a également affirmé que l’État devait combattre les organisations armées illégales « dans le cadre du respect total des droits de l’homme et du droit international humanitaire ».
« Nous ne pouvons pas adopter les pratiques de ces derniers, car cela constituerait une tragédie pour la démocratie », a-t-il déclaré.
Le gouvernement colombien a annoncé, hier 8 mars, à la suite d’une réunion avec des délégués brésiliens (parmi lesquels l’ambassadeur du Brésil en Colombie) et du Comité international de la Croix-Rouge, que toutes les conditions de sécurité étaient réunies afin que les guérilleros puissent libérer les otages « en ce qui concerne le gouvernement de Colombie, le gouvernement du Brésil et le Comité international de la Croix Rouge (CICR), toutes les conditions sont réunies pour permettre la libération des otages », a déclaré le vice-ministre de la Défense Jorge Bedoya à un groupe de journalistes.Lors de cette réunion qui s’est tenue à Bogotá, il a souligné « Nous avons déjà défini le protocole de sécurité » tout en précisant « nous sommes maintenant dans l’attente ».
(Aline Timbert)