Ukraine-Russie : comment l’Amérique latine réagit face au conflit ?

Les positions de l’Amérique latine face à la guerre en Ukraine

La guerre en Ukraine entre dans sa troisième année, et si l’Europe adopte des positions claires face à l’agression russe, on connait peu la position de l’Amérique latine sur ce conflit meurtrier.

En fait, cette région du monde, traditionnellement éloignée des conflits européens, a adopté des positions allant de la condamnation de l’invasion russe à une neutralité prudente, influencées par des considérations géopolitiques, économiques et historiques. Pour mieux comprendre ce qui se joue sur le territoire latino-américain, Actu Latino vous propose cette synthèse qui permet de mieux approcher la perception de l’autre côté de l’océan Atlantique.

Une neutralité prédominante dans le conflit russo-ukrainien

En fait, la majorité des pays d’Amérique latine ont choisi une approche de non-alignement ou de neutralité active face au conflit. Cette position reflète une tradition régionale de non-intervention dans les affaires internationales, souvent renforcée par une méfiance envers les puissances occidentales en raison d’un passé marqué par des ingérences nord-américaines.

En effet, le principe de non-intervention dans les affaires d’autres pays est profondément ancré en Amérique latine. Ce principe trouve ses racines dans l’histoire de l’ingérence nord-américaine dans la région aux 19e et 20e siècles. 

Face à la guerre en Ukraine, l’Amérique latine adopte une position nuancée. Découvrez les raisons de cette neutralité et ses enjeux économiques et diplomatiques.
Pourquoi l’Amérique latine reste-t-elle majoritairement neutre face à la guerre en Ukraine ?

De nombreux pays latino-américains considèrent que rester neutres est cohérent avec leur tradition diplomatique de non-interventionnisme et de pacifisme.

Par exemple :

  • Le Brésil, sous le président Luiz Inácio Lula da Silva, a certes proposé de jouer un rôle de médiateur entre la Russie et l’Ukraine, tout en évitant de condamner directement Moscou malgré son vote contre la Russie à l’ONU.
  • Le Mexique a également adopté une posture neutre, critiquant les livraisons d’armes à l’Ukraine tout en accueillant des représentants russes lors d’événements nationaux. Ainsi, Claudia Sheinbaum maintient une position de neutralité prudente dans le conflit russo-ukrainien, privilégiant les principes de non-intervention et de résolution pacifique des conflits. Avant tout, elle cherche à préserver l’indépendance et la souveraineté du Mexique sur la scène internationale.

Des condamnations limitées mais présentes

Certains pays ont néanmoins exprimé leur opposition à l’invasion russe :

  • Le Chili et l’Argentine ont voté en faveur de résolutions onusiennes condamnant la Russie et soutiennent des initiatives humanitaires comme le projet « Bring Kids Back UA », visant à rapatrier les enfants ukrainiens déplacés.
  • La Colombie, bien qu’elle prône le dialogue entre les parties, a soutenu les efforts internationaux pour dénoncer les actions russes.

J’ai décidé, avec la majorité des gouvernements d’Amérique latine, de rester neutre dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Il s’agit d’une guerre entre frères, armés par des puissances extérieures aux peuples slaves. Zelensky et l’Europe sont désormais trahis par les États-Unis, qui les ont entraînés dans cette guerre. « Combien de centaines de milliers de jeunes Russes et Ukrainiens sont morts au nom du pétrole et du gaz : l’économie fossile agonisante à l’étranger », a écrit le président colombien sur son compte X le 19 février 2025

Gustavo Petro

Soutien explicite à la Russie de plusieurs pays latino-américains

De l’autre côté de l’échiquier, quelques nations, notamment celles entretenant des liens historiques ou idéologiques forts avec Moscou, ont choisi de soutenir, sans la moindre réserve, la Russie :

  • Cubale Venezuela et le Nicaragua maintiennent ainsi un alignement diplomatique avec Moscou. Ces pays partagent une vision multipolaire du monde et s’opposent aux sanctions occidentales contre la Russie.

« Je salue chaleureusement le président Vladimir Poutine pour son soutien, sa disponibilité et ses bons vœux. Nous continuerons à travailler ensemble pour enrichir et renforcer nos relations d’amitié et de solidarité. Vous êtes également les bienvenus dans notre chère patrie. » Post X du 29 juillet 2024 de N. Maduro

Toutefois, une question se pose, un éventuel rapprochement entre les États-Unis et la Russie pourrait-il contraindre ces nations à une adaptation stratégique ? En effet, elles devraient alors jongler entre pragmatisme diplomatique et réaffirmation de leurs principes anti-impérialistes contre l’oncle Sam.

Facteurs influençant les positions en Amérique latine face à la Russie

  1. Géopolitique et histoire : Les relations historiques avec la Russie, héritées de la guerre froide, jouent encore un rôle prépondérant. Par exemple, Cuba et le Venezuela ont bénéficié d’une coopération militaire et économique avec Moscou avant même le conflit.
  2. Économie : Aucun pays latino-américain n’a imposé de sanctions contre la Russie, préférant préserver leurs échanges commerciaux. La dépendance économique à certains produits russes (comme les engrais) ou ukrainiens (comme le blé) complique également leur positionnement sur la scène internationale.
  3. Critique des États-Unis : La méfiance envers Washington incite certains gouvernements à éviter tout alignement perçu comme pro-occidental. Cela explique pourquoi des leaders comme Lula ont parfois repris des éléments du discours russe sur le conflit.

Les efforts russes pour accentuer son poids en Amérique latine

Moscou a intensifié ses efforts diplomatiques en Amérique latine pour maintenir cette neutralité favorable :

  • Des campagnes de désinformation visant à critiquer l’Occident et promouvoir un ordre mondial multipolaire sont signalées dans plusieurs pays.
  • La Russie cherche également à renforcer ses alliances économiques et militaires dans la région face à la puissance chinoise, notamment avec ses partenaires traditionnels comme Cuba et le Venezuela.

Conséquences régionales du conflit entre l’Ukraine et la Russie

  1. Opportunités diplomatiques : Des initiatives comme celle du Brésil pour organiser des négociations pourraient renforcer le rôle international de la région.
  2. Impact économique : La hausse des prix des matières premières liée au conflit a exacerbé les défis économiques locaux.
  3. Repositionnement géopolitique : La guerre met en lumière une certaine autonomie stratégique de l’Amérique latine vis-à-vis des grandes puissances.

Réactions après la rencontre entre Donald Trump et Volodymyr Zelenski

La rencontre houleuse entre le président américain Donald Trump et le président ukrainien Volodymyr Zelenski à la Maison Blanche le vendredi 28 février 2025 a effectivement suscité de vives réactions dans le monde occidental.

Cependant, les réactions en Amérique latine ont été bien plus nuancées et moins prononcées. Voici un aperçu des principales réactions latino-américaines :

  1. Brésil : Le président Luiz Inácio Lula da Silva a exprimé des inquiétudes quant à la possibilité que l’Ukraine soit écartée des négociations de paix actuelles entre les États-Unis et la Russie. Lula a souligné l’importance d’inclure l’Ukraine dans les discussions sur son propre avenir. Par ailleurs, il a parlé d' »humiliation » imposée à Zelinski par Washington lors de cet entretien télévisé.
  2. Colombie : Le président Gustavo Petro a critiqué ce qu’il considère comme une « trahison » des États-Unis envers l’Ukraine et l’Europe. Cependant, la Colombie maintient sa position traditionnelle de neutralité et continue d’appeler au dialogue direct entre la Russie et l’Ukraine.
  3. Mexique : L’ambassadrice d’Ukraine au Mexique, Oksana Dramarétska, a déclaré dans une interview au journal MILENIO que l’Ukraine n’accepterait pas un accord de paix dans lequel le pays serait exclu ou traité injustement. Cette déclaration reflète les préoccupations ukrainiennes concernant les potentielles négociations entre les États-Unis et la Russie.
  4. Approche générale : La plupart des pays latino-américains ont adopté une position d’attente et d’observation. Cette réserve peut s’expliquer par plusieurs facteurs :
    • La rapidité des événements, qui a pu laisser peu de temps aux dirigeants régionaux pour réagir de manière réfléchie.
    • La volonté d’éviter de compromettre leurs relations avec les États-Unis, notamment en raison des risques de représailles économiques de la part de l’administration Trump.

Il est important de noter que la région de l’Amérique latine et des Caraïbes (ALC) a généralement cherché à éviter de prendre des positions fermes sur le conflit russo-ukrainien depuis son début.

En effet, les réactions à cet incident spécifique s’inscrivent dans cette tendance plus large de prudence diplomatique

En résumé, que retenir ?

L’Amérique latine reste divisée face au conflit russo-ukrainien. Tandis que certains pays condamnent l’agression russe, d’autres revendiquent leur fidélité sans faille au Kremlin. Toutefois, beaucoup privilégient une neutralité stratégique pour préserver leurs intérêts économiques et politiques.

Cette diversité reflète non seulement les réalités internes de chaque nation, mais aussi leur volonté d’affirmer leur indépendance dans un monde en mutation où les alliances se redessinent.

L’influence russe en Amérique latine repose sur une stratégie multidimensionnelle combinant économie, sécurité et information. Cependant, bien que Moscou ait établi des liens solides avec certains régimes, sa capacité à exercer une influence durable reste limitée face à la concurrence d’acteurs majeurs comme la Chine.

De son côté, Oleksandra Matviichuk, avocate ukrainienne des droits de l’homme, a souligné le manque de compréhension mutuelle entre l’Amérique latine et l’Ukraine, expliquant que :

« L’ Amérique latine, pendant des décennies, voire des siècles, a regardé notre partie du monde à travers le prisme russe ».

Ukraine : comment l’Amérique latine aborde l’invasion russe (juillet 2022)

FAQ : L’Amérique latine face à la guerre en Ukraine

1. Comment la Russie a-t-elle réagi aux tentatives d’aide militaire à l’Ukraine par des pays latino-américains ?

La Russie a réagi fermement aux tentatives d’aide militaire. Par exemple, lorsque l’Équateur a proposé d’envoyer des équipements militaires à l’Ukraine via les États-Unis, la Russie a menacé d’arrêter les importations de bananes équatoriennes, ce qui a poussé le gouvernement équatorien à abandonner son offre

2. Comment la guerre a-t-elle affecté la sécurité alimentaire en Amérique latine ?

L’Amérique latine et les Caraïbes ont connu une augmentation de l’insécurité alimentaire en raison de la guerre. Les produits agricoles, en particulier, continuent de connaître des fluctuations importantes sur le marché, en grande partie à cause de la domination russe du commerce des nitrates pour les engrais.


3. Quels sont les pays latino-américains qui soutiennent la Russie ?

Cuba, le Venezuela et le Nicaragua entretiennent des liens historiques et économiques forts avec Moscou et adoptent une posture pro-russe, dénonçant les sanctions occidentales.

4. Pourquoi la majorité des pays d’Amérique latine reste-ils neutres dans le conflit Ukraine-Russie ?

La tradition diplomatique latino-américaine repose sur le principe de non-intervention. Cette neutralité est aussi motivée par des intérêts économiques et une méfiance historique envers les puissances occidentales, notamment les États-Unis.


5. Quelle est l’influence de la Chine sur la position de l’Amérique latine face au conflit russo-ukrainien ?

La Chine est un partenaire commercial clé pour de nombreux pays latino-américains. Son approche prudente vis-à-vis de la guerre incite certaines nations à suivre une ligne similaire pour ne pas nuire à leurs relations économiques avec Pékin.

6. Comment l’opinion publique latino-américaine perçoit-elle la guerre en Ukraine ?

Elle est divisée : certains voient la Russie comme un contrepoids à l’hégémonie américaine, tandis que d’autres condamnent l’invasion. Cependant, le sujet est souvent perçu comme un conflit lointain et peu prioritaire puisqu’il ne concerne pas directement la région.

7. Quelle a été la réaction de l’Amérique latine aux potentielles négociations de paix entre les États-Unis et la Russie ?

Certains dirigeants latino-américains ont exprimé des inquiétudes quant à l’exclusion potentielle de l’Ukraine des pourparlers. Par exemple, le président colombien Gustavo Petro a dénoncé la « trahison » des États-Unis envers l’Ukraine et l’Europe, tandis que le président brésilien Lula da Silva s’est inquiété de la possible mise à l’écart de l’Ukraine dans les discussions actuelles.

8. Comment la guerre en Ukraine a-t-elle affecté les relations économiques entre l’Amérique latine et la Russie ?

Malgré les sanctions internationales, certains pays latino-américains ont augmenté leurs échanges commerciaux avec la Russie. Par exemple, le Brésil a augmenté ses importations de diesel russe en 2023 et davantage encore en 2024, tandis que les importations de fuel ont presque quadruplé. Cela a entraîné un gain de 8,6 milliards de dollars pour la Russie, provenant également d’exportations accrues vers le Venezuela et Cuba.

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