Économie, géopolitique : la Chine redessine l’Amérique latine

L‘engagement du géant Chinois en Amérique latine a connu une croissance spectaculaire au cours des deux dernières décennies. D’ailleurs, cette présence redéfinit non seulement les relations économiques, mais aussi diplomatiques et stratégiques de la région.

Dans cette optique, Actu Latino vous propose de découvrir ce panorama qui examine l’évolution de ce partenariat, ses implications et ses perspectives d’avenir.

Explosion des échanges commerciaux entre la chine et l’Amérique latine

Le commerce entre la Chine et l'Amérique latine a connu une croissance exponentielle, passant de 12 milliards de dollars en 2000 à un impressionnant 489 milliards de dollars en 2023 !

Ainsi, cette augmentation représente désormais 8,2% du commerce extérieur total de la Chine, soulignant l'importance stratégique du territoire latino-américain pour Pékin.

Structure des échanges commerciaux entre la Chine et l’Amérique latine

• Exportations latino-américaines vers la Chine : 243 milliards de dollars en 2023 (+4,9% par rapport à 2022) ;
• Importations en provenance de Chine : 245 milliards de dollars (-2,4% par rapport à 2022).

Cette structure révèle de grands disparités puisque l ‘Amérique latine exporte principalement des matières premières et des produits agricoles. De son côté, la Chine fournit des produits manufacturés à plus forte valeur ajoutée.

Or, ce point présente plusieurs risques pour l’Amérique latine, notamment la dépendance excessive à l’égard des exportations de matières premières et la vulnérabilité aux fluctuations des prix mondiaux. Il suffit de prendre l‘ exemple du Venezuela et de son industrie pétrolière pour illustrer parfaitement ces risques.

D’ailleurs, en 2024, José Manuel Salazar-Xirinachs, Secrétaire exécutif de la CEPAL, a exhorté les pays de la région à :

« améliorer le modèle de spécialisation dans le commerce avec la Chine et augmenter la sophistication technologique et la valeur ajoutée des exportations vers la Chine, dans le cadre de leurs politiques de développement productif ».

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Risques associés à la spécialisation dans les matières premières

1. Dépendance économique : Lorsque les pays latino-américains se spécialisent dans l’exportation de matières premières, ils deviennent vulnérables aux fluctuations des marchés mondiaux. Une baisse des prix peut entraîner une réduction significative des revenus, comme cela s’est produit au Venezuela avec la chute des prix du pétrole en 2014 ;
2. Manque de diversification économique : La concentration sur les matières premières peut empêcher le développement d’autres secteurs économiques, tels que l’industrie manufacturière ou les services, qui pourraient apporter une stabilité et une croissance économique plus durables ;
3. Vulnérabilité aux sanctions : Le cas du Venezuela montre comment les sanctions internationales peuvent aggraver la situation économique d’un pays dépendant fortement des exportations de matières premières. Les sanctions américaines contre PDVSA ont réduit considérablement les capacités d’exportation du Venezuela, exacerbant la crise économique.

Investissements directs et prêts : Une présence financière massive

La Chine s'est positionnée, au fil des dernières décennies comme un investisseur et prêteur majeur en Amérique latine :

• Investissements directs étrangers (IDE) chinois : Près de 9 milliards de dollars en 2023, soit environ 6% du total des IDE chinois dans le monde ;
• Prêts des banques d’État chinoises : Plus de 120 milliards de dollars accordés aux gouvernements latino-américains depuis 2005, principalement dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures.

Diversification sectorielle et géographique des investissements

Les investissements chinois se diversifient progressivement :

• 2005-2009 : 81% des investissements dans les matières premières ;
• 2020-2023 : 34% dans les matières premières, avec une augmentation significative dans l’énergie renouvelable et l’automobile.

Répartition géographique des investissements (2020-2023)

1. Brésil : 34%
2. Argentine : 22,5%
3. Mexique : 15%
4. Pérou : 11%
5. Chili : 8,7%

Partenaires clés en Amérique latine

Brésil : Le géant sud-américain

• Commerce bilatéral : 181 milliards de dollars en 2023 ;
• IDE chinois : 45,3 milliards de dollars en 2023 (+22,1% par rapport à 2022) ;
• Secteurs clés : Énergie, infrastructures, automobile.

La Chine est le plus grand partenaire commercial du Brésil. En fait, le pays asiatique absorbe la majorité de ses exportations de soja, bœuf, café et fer. De plus, les secteurs de l’énergie, des infrastructures et de l’automobile sont les principaux bénéficiaires des investissements chinois

Argentine : Un partenariat stratégique en devenir

• Investissement majeur : 1,25 milliard de dollars par China Potassium Chemical Group pour deux usines d’engrais (2025)
• Secteurs d’intérêt : Énergies renouvelables, agriculture, ports, lithium

L ‘Argentine émerge comme un partenaire stratégique, notamment dans les secteurs des énergies renouvelables et du lithium. En février 2025, un investissement de 1,25 milliard de dollars par China Potassium Chemical Group a été annoncé pour la construction de deux usines d’engrais.

Chili : Un partenaire commercial essentiel

• Volume commercial bilatéral : 56,91 milliards de dollars en 2023 ;
• Exportations vers la Chine : 37,4 milliards de dollars (40% des exportations totales du Chili) ;
• Secteur clé : Lithium.

Le Chili, quant à lui, voit 40% de ses exportations partir vers la Chine, principalement dans le secteur minier.

Mexique : Une porte vers l’Amérique du Nord

• Commerce bilatéral : 100,2 milliards de dollars en 2023 (+6% par rapport à 2022) ;
• IDE chinois : Record de 5,6 milliards de dollars en 2023 ;
• Secteur phare : Automobile (3,5 milliards de dollars investis en 2023).

Projets d’infrastructure majeurs en Amérique latine

La Chine finance de nombreux projets d'infrastructure stratégiques en Amérique latine :

1. Port de Chancay, Pérou

• Coût : 3,6 milliards de dollars
• Description : Ce port en eaux profondes, situé à environ 72 km au nord de Lima, est l’un des plus grands projets d’infrastructure de la Chine en Amérique latine. Il vise à créer un couloir maritime direct entre l’Amérique du Sud et la Chine, réduisant le temps de transport pour les marchandises agricoles et minérales. Le port de Chancay est également conçu pour accueillir des navires militaires, ce qui soulève des préoccupations géopolitiques.

En 2024, David Gamero, directeur adjoint du projet de méga-port de Chancay au Pérou, a affirmé :

« Le port de Chancay aidera le Pérou à améliorer l’efficacité du transport maritime et à approfondir la coopération commerciale avec l’Asie ».

« De Chancay à Shanghai est devenu une expression courante au Pérou, indiquant un avenir prometteur de coopération mutuellement bénéfique entre les deux nations »

Xi Jinping lors de l’inauguration du port de Chancay avec la présidente péruvienne Dina Boluarte le 14 novembre 2024

2. Métro de Bogotá, Colombie

• Coût : Environ 4 milliards de dollars
• Description : Ce projet de métro est crucial pour améliorer le transport urbain dans la capitale colombienne. La construction a été confiée à un consortium comprenant des entreprises chinoises, soulignant l’engagement de la Chine dans les infrastructures urbaines.

3. Chemin de fer Urquiza, Argentine

• Coût : 550 millions de dollars
• Description : Ce projet ferroviaire vise à moderniser et étendre le réseau ferroviaire en Argentine, facilitant le transport de marchandises et améliorant la logistique dans le pays.

4. Parc industriel Camaraçi, Brésil

• Coût : 620 millions de dollars
• Description : Ce parc industriel est destiné à attirer des investissements étrangers et à stimuler le développement économique dans l’État de Bahia, avec un accent particulier sur les technologies vertes et durables.

5. Projet solaire Puerto Peñasco, Mexique

• Coût : 800 millions de dollars
• Description : Ce projet solaire est une initiative clé pour diversifier les sources d’énergie au Mexique et réduire la dépendance aux combustibles fossiles. Il est soutenu par la China Energy Engineering Group.

Autres projets notables d’investissements

• Hydroélectricité en Équateur : La Chine a financé la construction de la plus grande centrale hydroélectrique d’Équateur, augmentant significativement la capacité énergétique du pays.
• Routes en Costa Rica : Des investissements chinois ont permis la construction de routes à travers les jungles du Costa Rica, facilitant le transport et le commerce dans cette région éloignée.
• Câble optique transocéanique : Un projet ambitieux reliant directement l’Asie à l’Amérique du Sud via un câble sous-marin a été mis en œuvre pour améliorer les communications numériques entre les deux régions.

Implications géopolitiques de l’influence chinoise en Amérique latine

L'engagement croissant de la Chine en Amérique latine soulève plusieurs questions :

• Dépendance économique : Risque d’une dépendance excessive aux exportations de matières premières pour certains pays ;
• Concurrence industrielle : Pression accrue sur les industries manufacturières locales face aux importations chinoises ;
• Enjeux géopolitiques : Reconfiguration des relations avec les États-Unis et l’Union européenne.

Renforcement des liens diplomatiques entre la Chine et l’Amérique latine

La Chine a renforcé sa présence diplomatique en Amérique latine à travers plusieurs initiatives :

• En 2024, 22 pays latino-américains sur 33 participaient à l’Initiative « la Ceinture et la Route » ( ‘La Franja y la ruta ») ;
• La Chine a établi des partenariats stratégiques avec plusieurs pays de la région et organise régulièrement des forums Chine-CELAC (Communauté des États latino-américains et caraïbes) ;
• Pékin a signé des accords de libre-échange avec le Chili, le Costa Rica, l’Équateur, le Nicaragua et le Pérou.

L’initiative ‘La Franja y la ruta », lancé par la Chine en 2013, est une stratégie globale visant à relier la Chine à d’autres régions du monde, principalement l’Asie, l’Europe et l’Afrique, à travers des corridors économiques terrestres et maritimes.

En fait, elle s’inspire des anciennes routes commerciales de la Ruta de la Seda et vise à promouvoir le développement économique et la coopération internationale.

Un impact social et environnemental contrasté en Amérique latine

Si l’essor des investissements chinois en Amérique latine représente une opportunité économique majeure, il soulève également des préoccupations sociales et environnementales.

Ainsi, la forte demande chinoise en matières premières accélère la déforestation, notamment en Amazonie, où l’exploitation minière et agricole s’étend pour répondre aux besoins du marché asiatique.

Par ailleurs, les mégaprojets d’infrastructure, tels que les barrages hydroélectriques et les routes, modifient les écosystèmes locaux et parfois le mode de vie des communautés indigènes.

De plus, certains projets, comme l‘extraction de lithium en Argentine et au Chili, suscitent des tensions en raison de leur impact sur les ressources en eau, essentielles aux populations locales.

Sur le plan social, si ces investissements créent des emplois, ils sont souvent précaires et soumis à des conditions de travail contestées. La dépendance aux capitaux chinois pose aussi la question de la souveraineté des États latino-américains sur leurs propres ressources naturelles.

Dès lors, un équilibre entre développement économique et responsabilité environnementale devient un enjeu clé pour l’avenir de la région.

Perspectives et défis pour le continent latino-américain

L’engagement croissant de la Chine en Amérique latine ne se limite pas à la sphère économique. En effet, il redessine les équilibres géopolitiques dans une région traditionnellement considérée comme la « cour arrière » des États-Unis. De fait, cette nouvelle dynamique suscite des inquiétudes à Washington et pose la question de l’autonomie stratégique des pays latino-américains.

Ainsi, les projections suggèrent que le commerce entre la Chine et l’Amérique latine pourrait atteindre 700 milliards de dollars d’ici 2035, soulignant l’importance croissante de ce partenariat.

Cependant, cette relation n’est pas exempte de défis. La dépendance excessive aux exportations de matières premières, la concurrence accrue pour les industries manufacturières locales et les implications géopolitiques sont autant de questions que les pays latino-américains devront aborder.

En conclusion, l‘ alliance économique entre l’Amérique latine et la Chine est en train de redéfinir non seulement les perspectives de développement de la région, mais aussi son positionnement sur l’échiquier mondial. Alors que cette relation continue de s’approfondir, il sera crucial pour les pays latino-américains de trouver un équilibre entre les opportunités offertes par ce partenariat et la préservation de leur autonomie économique et stratégique.

L’avenir dira si cette alliance contribuera à un développement durable et équilibré de la région ou si elle créera de nouvelles formes de dépendance dans un monde multipolaire en pleine mutation.