Bolivie : Evo Morales renonce au projet routier controversé et déclare le Tipnis « zone intangible »

Le président bolivien, Evo Morales, a promulgué, le 24 octobre, une loi intitulée « Ley Corta » qui met définitivement fin au projet de construction d’un tronçon routier dans la réserve naturelle du Tipnis, de même qu’à tout autre projet similaire impliquant une destruction de l’habitat des peuples autochtones.

Cette décision intervient après que des indigènes peuplant cette région amazonienne de la Bolivie aient entrepris une marche protestataire de plus de 500 km, le 15 août dernier, jusqu’à la capitale, La Paz, dans le but d’exiger l’abandon pur et simple de cette voie de circulation entre Villa Tunari (à Cochabamba) et San Ignacio de Moxos (au Beni) (pour plus d’informations).

Manifestants indigènes à La Paz

Plusieurs leaders indigènes ont assisté à cette promulgation tandis que de nombreux manifestants avaient établi leur campement face au palais Quemado, siège de la présidence, lieu situé sur la place principale de La Paz où ils ils étaient arrivés après 66 jours de marche afin de demander au mandataire de respecter leur volonté de garder intacte leur territoire.

 Le président Evo Morales annule le projet routier et déclare le Tipnis « Intangible »

Pour rappel, le parc naturel, créé en 1965, est reconnu comme « un territoire indigène » depuis 1990, il se situe entre les régions de Cochabamba (au centre du pays) et le Beni (au nord-est du pays), il s’étend sur une superficie de 1 236 296 ha (12 363 km²). La réserve, qui est habitée par environ 7 000 natifs dispersés sur 53 communautés indigènes (trois ethnies principales peuplent le parc naturel : mojeño, yuracaré et chimánes) et 10 000 colons, abrite en son sein 714 espèces animales et plus de 400 espèces de fleurs, l’on estime également que près de 3 000 espèces de plantes n’ont pas encore été étudiées .

Le chef de l’État socialiste a déclaré suite à l’approbation de la Ley Corta qu’il avait ainsi répondu « à une demande des peuples indigènes de l’Oriente, qui ont entrepris une marche sacrificatoire depuis leurs terres d’origine jusqu’à La Paz » tout en insistant sur le fait que de nombreux secteurs de la population demeuraient néanmoins favorables à l’accomplissement de cette route de 300 km dont les travaux avaient débuté au mois de juin grâce aux fonds de l’entreprise brésilienne au OAS. Le gouvernement bolivien n’a toujours pas expliqué comment il remplirait son contrat avec ladite entreprise qui a accordé un crédit de 332 millions de dollars pour la réalisation de cet ouvrage qui s’avère désormais suspendu. Le Brésil a investi un total de 332 millions de dollars (sur un total 415 millions de dollars) pour la construction de cette route dont les tronçons un et trois sont désormais finalisés (le second étant pour le moment annulé). Le président de l’Administration bolivienne des routes (ABC), Luis Sánchez, a souligné que l’actuelle situation pourrait tripler les coûts et que la décision d’annuler la construction de la route entre les départements de Cochabamba et du Beni en passant par le parc TIPNIS s’avérait « non viable ». Il n’a pas évoqué les éventuels tracés subsidiaires, mais a cependant expliqué que le projet pourrait définitivement être entériné « sincèrement, la situation n’est pas viable pour remplir cet objectif qui n’était pas seulement celui du gouvernement », a-t-il expliqué en référence à d’autres secteurs de la société comme les cultivateurs de coca qui souhaitent ardemment la construction de ce tronçon, mais également certaines communautés indigènes qui voient en ce projet une façon de sortir de leur isolement en ayant un meilleur accès aux infrastructures dans le domaine de la santé et de l’éducation. Sánchez a également critiqué les dirigeants indigènes Adolfo Chávez et Adolfo Moye en soulignant qu’au mois de mai 2011 ils se montraient favorables au projet avant qu’ils ne changent d’avis, selon lui, pour des motifs politiques.

Marche indigène contre la route

Pour sa part, le leader du Territoire Indigène et Parc National Isiboro Sécure (Tipnis), Fernando Vargas et le président de la Confédération indigène de l’oriente bolivien (Cidob), Adolfo Chávez, ont instamment demandé au président Morales de tenir sa parole, et par conséquent de défendre la Terre mère (Pachamama ou « terre nourricière ») et les droits des peuples indigènes. Pour rappel, les indigènes revendiquent le droit de consultation préalable inscrit dans la Constitution de l’État plurinational bolivien dès 1991 en accord avec Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui stipule que les peuples indigènes et tribaux doivent être consultés sur les questions qui les affectent. Elle exige également que ces peuples soient en mesure de s’engager dans une participation libre, préalable et informée dans les processus politiques et de développement qui les affectent.

« Les principes de consultation et de participation de la convention n° 169 se réfèrent non seulement aux projets de développement spécifiques, mais également à des questions plus vastes de gouvernance et à la participation des peuples indigènes et tribaux à la vie publique » (OIT, Convention 169 sur  » la Consultation et participation »).

« Nous demandons au président et à l’ensemble de son cabinet de respecter la Constitution, de la faire respecter et par conséquent d’agir dans le cadre de cette constitution, des lois nationales et des accords internationaux… Nous demandons à un gouvernement indigène qu’il nous respecte et respecte nos droits », a déclaré Fernando Vargas.

 Une marche entachée le 25 septembre par la répression policière

Les natifs du Tipnis accusent le mandataire d’avoir appuyé la construction de cette route pour satisfaire une base de son électorat, à savoir les cocaleros de la région du Chapare, voisine à la réserve, et permettre ainsi l’extension des zones de culture de la feuille de coca. La loi qui a mis fin à la construction de ce tronçon routier a été adoptée par l’Assemblée législative le dimanche 23 octobre 2011 après un débat houleux sur le caractère « intangible » qu’a proposé d’apposer le président Morales concernant le parc naturel. Des députés d’origine indigène avaient d’emblée réclamé que cette intangibilité ait des limites, car ils craignaient qu’au delà de mettre fin à la route, cela puisse freiner leurs projets de développement propre au sein de la zone. Les dirigeants du Tipnis ont ratifié l’accord tout en précisant qu’il n’annulerait pas les plaintes déposées à l’encontre du gouvernement suite à la répression brutale des forces de police contre les manifestants, le 25 septembre dernier, ces derniers accusent les autorités de « génocide » (voir article précédent). Deux ministres avaient présenté leur démission à la suite des violences qui avaient éclaté fin septembre par la mise en place de barrages policiers visant à stopper la marche vers La Paz. Le député indigène Bienvenido Zacu, dissident de l’officialisme, a annoncé qu’il se préparait à déposer une plainte devant la Cour Interaméricaine des Droits de l’homme sur les agissements des forces de police que le propre président a qualifiées « d’impardonnables » bien qu’il n’ait pas assumé la responsabilité de cette intervention musclée à l’encontre des protestataires.

Leader indigène Adolfo Chávez

Un dirigeant du Conseil national des Ayllus et Marcas del Qullasuyu (Conamaq), le leader aymara Rafael Quispe (communauté indigène des Andes à laquelle appartient le président Morales), a réaffirmé lors d’un dialogue mené avec le président que ces actes de violence ne pouvaient pas rester impunis. « Nous avons dit face au président que les délits ne faisaient pas l’objet de négociations, que les délits n’appelaient pas au dialogue et que ce procès allait continuer », a-t-il déclaré.

Dès lundi, des indigènes des terres basses se réuniront de nouveau  avec des représentants du gouvernement pour continuer de débattre sur la réglementation de la loi de protection du Tipnis (Reglamento de la Ley Corta) qui prévoit le caractère « intangible » de toute la zone concernée, un qualificatif qui a suscité de nombreuses controverses. Pour sa part le gouvernement a garanti que la route ne serait pas construite au milieu du parc tout en soulignant que d’autres alternatives plus coûteuses et nécessitant davantage de temps pourraient être étudiées. Le ministre à la Communication, Iván Canelas, a expliqué que des études techniques et économiques allaient être réalisées afin de pouvoir relier malgré les aléas les départements de Cochabamba et du Beni. Il a tenu à préciser que malgré les déclarations de Luis Sánchez, la loi était très claire et que les membres de l’Exécutif respecteraient à la lettre la norme promulguée le 24 octobre passé par le président. « La loi qui a été promulguée établit avec beaucoup de clarté que cette route ne passera pas quoi qu’il en soit par le Tipnis, et établit également l’intangibilité, c’est ce que nous allons accomplir. En aucune façon nous ne pensons à contourner cette norme », a-t-il déclaré avec fermeté. « Pour le moment, nous n’avons pas d’autre tracé qui pourrait épargner le Tipnis », a-t-il ajouté. Les communautés indigènes souhaitent que le terme « d’intangibilité » ne leur soit pas appliqué afin qu’ils puissent continuer à pêcher, à chasser ou bien à couper du bois au sein de la réserve naturelle en accord avec l’article 30 de la Constitution politique de l’État (CPE) qui stipule que les indigènes peuvent développer certaines activités pour assurer leur propre subsistance. Iván Canelas a d’ores et déjà rassuré les indigènes sur le fait que cette norme ne s’appliquait pas à leur mode de vie ancestrale.

Des représentants de l’ethnie yuracaré et des législateurs ont dénoncé, il y a quelques jours, les actions de déprédation du Territoire indigène Isiboro Sécure (Tipnis), parmi les activités dans la ligne de mire des indigènes, les entreprises forestières et certains tour-opérateurs touristiques qui affectent le milieu naturel. À ce titre, Eleuterio Guzmán, au nom des ethnies les plus représentées du Tipnis et le député Galo Bonifaz ont demandé des comptes sur ses actes contraires à la préservation du territoire. Guzmán a expliqué que le parc regorgeait d’entreprises qui s’adonnaient de façon incontrôlée à l’abattage des arbres, mais aussi d’agences touristiques non respectueuses de l’écologie, c’est pourquoi ils ont demandé l’aide des autorités et des écologistes afin de mettre fin à ces pillages. Ces activités illégales sont pratiquées autour du fleuve Chapare et dans le coeur du territoire.

Le Tipnis devra être protégé de toute forme d’exploitation industrielle et commerciale

Álvaro García Linera

Álvaro García Linera, le vice-président bolivien, a annoncé que la loi aurait des conséquences inéluctables pour les entreprises implantées dans la région désormais protégée par la Ley Corta « il est certain que la loi va avoir un impact sur l’intégralité des activités à caractère industrielles et commerciales implantées au Tipnis », a affirmé Alvaro García Linera tout en précisant une nouvelle fois que la norme ne pouvait inclure les formes de subsistances traditionnelles des indigènes.

« De fait, le problème du Tipnis est résolu, voilà ce qu’on appelle gouverner en obéissant », a assuré le président Morales après sa décision de mettre fin à ce projet de construction routière qui a déclenché une véritable crise sociale parmi un secteur qui lui est habituellement acquis. Pour sa part, Juan Ramón Quintana, directeur de l’Ademaf (Agencia para el Desarrollo de las Macrorregiones y Zonas Fronterizas), a souligné l’existence d’activités illicites au coeur de cette réserve amazonienne. Il a exposé pour appuyer ses propos des photos satellites révélant des activités industrielles dans cette zone amazonienne désormais déclarée « intangible » afin que l’environnement ne soit plus mis à mal. Une décision prise sur le papier qui n’est pas toujours applicable dans les faits par manque de moyens, une absence de contrôle qui laisse la plupart du temps la porte ouverte à de nombreux abus…

(Article rédigé par Aline Timbert)

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